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chacun faisait des maximes et des pensées, depuis les plus grands jusqu’aux plus petits. Parmi ces derniers était l’abbé d’Ailly, précepteur des enfans de Mme de Longueville, ecclésiastique fort mondain, attentif à faire sa cour à la marquise en flattant ses goûts, parce qu’elle était toute puissante sur la princesse. C’est d’Ailly qui, après la mort de Mme de Sablé, s’empressa de recueillir et de mettre au jour les maximes qu’elle avait laissées, avec un éloge de l’aimable auteur, et en ayant bien soin d’y joindre ses propres pensées. Il s’en excuse dans un petit avant-propos, parce que, dit-il, « ces pensées sont d’un de ses amis particuliers et que c’est elle en quelque façon qui les a fait naître. » Il nous apprend que « les Pensées et les Maximes étaient déjà mises ensemble en diverses copies manuscrites, » et il nous fournit une preuve de plus que tout ce petit travail de pensées et de maximes se faisait presque en commun. À mesure qu’il les composait, « il les communiquait à son incomparable amie, ou de vive voix ou par lettres. » Le voisinage des pensées de l’abbé d’Ailly ne fait ni tort ni honneur aux maximes de Mme de Sablé. Il y en a de savantes, il y en a de mondaines ; les moins fades sont celles sur les femmes et sur l’amour.

Jacques Esprit, de l’Académie française, est un écrivain plus exercé que d’Ailly et qui tenait une place bien plus considérable dans le salon de Port-Royal. Personnage mobile et divers, il est assez malaisé de le distinguer de ses frères, de le reconnaître et de le suivre parmi tous ses changemens. Dans sa jeunesse, il s’était fait à l’hôtel de Rambouillet une certaine réputation de bel-esprit, et la protection du chancelier Séguier lui avait ouvert l’Académie. Tombé en disgrâce auprès du chancelier pour n’avoir pas connu ou lui avoir caché les amours de Guy de Laval et de sa fille, Mme de Coislin, il s’était attaché à Mme de Sablé. Mme de Longueville lui avait fait obtenir une pension de 2,000 livres[1], et l’avait emmené avec elle à Munster ; puis il se mit dans l’Oratoire, puis il en sortit et se maria. Toujours pour complaire à son amie, Mme de Longueville le plaça auprès de ses neveux, les petits princes de Conti. Tour à tour on l’appela l’abbé Esprit et M. Esprit. Sarrazin, dans ses vers sur les deux sonnets de Benserade et de Voiture, dit en 1649 : monsieur Esprit, de l’Oratoire. Sans nous engager dans ces obscurités, disons seulement que vers 1660, Esprit était dans l’intimité de Mme de Sablé et très janséniste. Personne plus que lui ne s’occupa de maximes et de pensées. Il en faisait en prose, il en faisait même en vers, et en 1669 il a dédié à Montausier, alors gouverneur du dauphin, des Maximes politiques mises en vers par

  1. Tallemant, tome IV, page 70 et suiv.