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ni dans Bossuet, ni dans Vincent de Paul, ni dans la mère Angélique, ni dans Mlle de La Vallière, ni dans Mme de Longueville, hélas ! Vain par-dessus tout, il a donné la vanité comme le principe unique de toutes nos actions, de toutes nos pensées, de tous nos sentimens, et cela est très vrai en général, même pour le plus grand des hommes, qui n’en est que le moins petit. Il y a néanmoins tel instant où, du fond de cette vanité, de cet égoïsme, de cette petitesse, de ces misères, de cette boue dont nous sommes faits, sort tout à coup un je ne sais quoi, un cri du cœur, un mouvement instinctif et irréfléchi, quelquefois même une résolution qui ne se rapporte pas à nous, mais à un autre, mais à une idée, à notre père et à notre mère, à notre ami, à la patrie, à Dieu, à l’humanité malheureuse, et cela seul trahit en nous quelque chose de désintéressé, un reste ou un commencement de grandeur, qui, bien cultivé, peut se répandre dans l’âme et dans la vie tout entière, soutenir ou réparer nos défaillances, et protester du moins contre les vices qui nous entraînent et contre les fautes qui nous échappent. Admettez un seul acte ou même un seul sentiment vraiment honnête et généreux, et c’en est fait du système des Maximes. Mais je ne les considère ici qu’au seul point de vue littéraire, et à ce point de vue on ne peut trop les admirer.

Faites bien attention, je vous prie, à un procédé de La Rochefoucauld, qui montre au plus haut degré l’homme de lettres amoureux de son art. Avant d’affronter l’œil du public, il avait grand soin de laisser ses maximes courir les salons, et de les soumettre à l’épreuve des jugemens les plus divers, pour se préparer sans doute des admirateurs et des partisans, mais surtout aussi pour avoir des avis éclairés, et sur eux perfectionner son ouvrage. Voici à peu près comme les choses se passaient : Mme de Sablé, sans avoir l’air d’agir au nom de La Rochefoucauld, communiquait les Maximes à ceux et à celles qui lui paraissaient les plus capables d’en juger. Elle exigeait que l’on n’en tirât pas de copie, et qu’on lui envoyât par écrit son opinion ; puis elle montrait toutes ces lettres à La Rochefoucauld. L’année qui précéda la publication se passa dans ce travail de révision et de correction. Il est curieux de le suivre dans les papiers de Mme de Sablé.

En général, les hommes approuvent La Rochefoucauld, et les femmes le condamnent. On ne sait pas le nom des hommes : ils ne signent point ; mais la plupart sont évidemment des ecclésiastiques ou des dévots d’un esprit assez médiocre, qui, accoutumés avec Port-Royal à exagérer la doctrine du péché originel pour exagérer ensuite celle de la grâce, triomphent de voir étaler la perversité de la nature humaine. Cependant il y a ici un danger immense : c’est que, si on