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« Lundi 8 février[1] J664.

« Je vous suis infiniment obligé, madame, de m’avoir donné la pièce que je vous renvoie ; et encore que je n’aye eu que le loisir de la parcourir dans le peu de temps que vous m’aviez prescrit pour la lire, je n’ai pas laissé d’en retirer beaucoup de plaisir et de profit, et une estime si particulière pour l’auteur et pour son ouvrage, qu’en vérité je ne suis pas capable de vous la bien exprimer. l’on voit bien que ce faiseur de maximes n’est pas un homme nourri dans la province ni dans l’université ; c’est un homme de qualité qui connoit parfaitement la cour et le monde, qui en a gousté autrefois toutes les douceurs, qui en a aussi senti souvent les amertumes, et qui s’est donné le loisir d’en estudier et d’en pénétrer tous les détours et toutes les finesses. Mais outre cela, comme la nature lui a donné cette étendue d’esprit, cette profondeur et ce discernement joint à la droiture, à la délicatesse et à ce beau tour dont il parle en plusieurs endroits de cet escrit, il ne faut pas s’estonner s’il a prononcé si judicieusement sur des matières qu’il avoit si parfaitement connues. Pour ce qui est de l’ouvrage, c’est, à mon sens, la plus belle et la plus utile philosophie qui se fit jamais ; c’est l’abrégé de tout ce qu’il y a de sage et de bon goust dans toutes les anciennes et les nouvelles sectes des philosophes, et quiconque saura bien cet escrit n’a plus besoin de lire Sénèque, ni Épictète, ni Montaigne, ni Charron, ni tout ce qu’on a ramassé depuis peu de la morale des sceptiques et des épicuriens. On apprend véritablement à se connoistre dans ces livres, mais c’est pour devenir plus superbe et plus amateur de soi-mesme. Celui-ci nous fait connoistre, mais c’est pour nous mépriser et pour nous humilier ; c’est pour nous donner de la méfiance et nous mettre sur nos gardes contre nous-mesmes et contre toutes les choses qui nous touchent et nous environnent ; c’est pour nous donner du dégoust de toutes les choses du monde, et, en nous en détachant, nous tourner du costé du bien, qui seul est immuable et digne d’estre aimé, honoré et servi. On pourroit dire que les chrestiens commencent où vostre philosophe finit, et l’on ne pourroit faire une instruction plus propre à un catéchumène pour convertir à Dieu son esprit et sa volonté….. Quand il n’y auroit que cet escrit au monde et l’Évangile, je voudrois estre chrestien. L’un m’apprendroit à connoistre mes misères, et l’autre à implorer mon libérateur….. Si cette pièce ne s’imprime pas, je vous prie très humblement, madame, de m’en faire avoir une copie. »


Voici l’extrait d’une autre lettre, sans signature aussi, mais écrite dans un esprit différent :


« Je vous ai beaucoup d’obligation d’avoir fait un jugement de moi si avantageux, que de croire que j’estois capable de dire mon sentiment de l’escrit que vous m’avez envoyé. Je vous proteste, madame, avec toute la sincérité de mon cœur, quoique l’auteur de l’escrit n’en croye point de véritable, que j’en suis incapable, et que je n’entends rien en ces choses si subtiles et si délicates ; mais puisque vous commandez, il faut obéir… Après la raillerie[2],

  1. Presque déchiré.
  2. Nous l’avons supprimée comme n’étant pas fort plaisante.