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d’ailleurs plus sobre et plus détaché de toute sensualité ; non, les Bretons cherchaient dans l’hydromel ce qu’Owenn, saint Brandan et Pérédur poursuivaient à leur manière, la vision du monde invisible. Aujourd’hui-encore, en Irlande, l’ivresse fait partie de toutes les fêtes patronales, c’est-à-dire des fêtes qui ont le mieux conservé leur physionomie nationale et populaire.

De là ce profond sentiment de l’avenir et des destinées éternelles de sa race qui a toujours soutenu le Kymri, et le fait apparaître jeune encore à côté de ses conquérans vieillis. De là ce dogme de la résurrection des héros, qui paraît avoir été un de ceux que le christianisme eut le plus de peine à déraciner. De là ce messianisme celtique, cette croyance à un vengeur futur qui restaurera la Cambrie et la délivrera de ses oppresseurs. Tel est le mystérieux Leminok que Merlin leur a promis, tels le Lez-Breiz des Armoricains et l’Arthur des Gallois[1]. Cette main qui sort du lac quand l’épée d’Arthur y tombe, qui s’en saisit et la brandit trois fois, c’est l’espérance des races celtiques. Les petits peuples doués d’imagination prennent d’ordinaire ainsi leur revanche de ceux qui les ont vaincus. Se sentant forts au dedans et faibles au dehors, une telle lutte les exalte, et, décuplant leurs forces, les rend capables de miracles. Presque tous les grands appels au surnaturel sont dus à des peuples vaincus, mais espérant contre toute espérance. Qui pourra dire ce qui a fermenté de nos jours dans le sein de la nationalité la plus obstinée et la plus impuissante, la Pologne ? Israël humilié rêva la conquête spirituelle du monde, et y réussit.


II.


La littérature du pays de Galles se divise au premier coup d’œil en trois branches parfaitement distinctes : — la littérature bardique ou lyrique, qui jette tout son éclat au vie siècle par les œuvres de Tahésin, d’Aneurin, de Liwarc’h-Hen, et se continue, par une série non interrompue d’imitations, jusqu’aux temps modernes ; — les Mabinogion ou littérature romanesque, fixée vers le xiie siècle, mais se rattachant par le fond des idées aux âges les plus reculés du génie celtique ; — enfin une littérature ecclésiastique et légendaire, empreinte d’un cachet tout particulier. Ces trois littératures semblent avoir vécu côte à côte presque sans se connaître. Les bardes, fiers de leur rhétorique solennelle, méprisaient les contes populaires, dont

  1. M. Augustin Thierry a finement remarqué que la renommée de prophétisme des Gallois au moyen âge venait de leur fermeté à affirmer l’avenir de leur race. (Histoire de la conquête de l’Angleterre, I. xi.)