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demi-douzaine de dents plantées au hasard, comme des quilles sur un terrain raboteux, et quelques rares cheveux gris qui grimpaient péniblement autour de la tête, formaient une physionomie des plus singulières. Ce corps, que la nature avait traité un peu sans façon, était animé d’un esprit à la fois jovial et sentencieux dont le mélange était assez piquant.

Giacomo Landi avait passé une partie de sa jeunesse près du curé de Cittadella en qualité d’enfant de chœur, et bien qu’il n’eût jamais su lire très couramment, sa mémoire n’en était pas moins remplie de toute sorte d’élémens, de vers, de cantiques, de chansons, de légendes mystérieuses, et surtout d’un grand nombre de fragmens des sermons du curé de Cittadella. Il paraît que ce bon curé avait l’habitude de citer souvent dans ses homélies les épîtres de saint Pierre et de saint Paul, car le nom de ces deux apôtres était resté aussi grand dans la mémoire de Giacomo qu’ils le sont dans l’histoire du christianisme. Il n’y avait rien de plus curieux que de voir Giacomo, entouré d’un groupe de paysans dont il était l’oracle, pérorant d’un ton plein d’importance sur quelques rares nouvelles politiques qu’il plaisait au gouvernement de la république de Venise de laisser pénétrer dans les provinces soumises à sa domination. Une grande poignée de tabac sur le haut du pouce, les yeux écarquillés et les sourcils froncés, Giacomo, d’une voix solennelle, terminait toutes ses harangues par cette phrase invariable : Ecco cosa dicevano san Pietro e san Paolo; — «voici ce que disaient saint Pierre et saint Paul. » C’était le plus souvent au cabaret que Giacomo aimait à étaler les bribes de son érudition sacrée. Là, attablé devant un fiasco de bon vin de Bassano, excité par le choc des verres et les applaudissemens de ses nombreux admirateurs, sa verve éclatait comme un feu d’artifice aux gerbes les plus bizarres.

Nous avons dit que Giacomo avait un goût prononcé pour la musique, dont il ignorait jusqu’aux plus simples élémens; mais son oreille était si juste, sa mémoire si heureuse et si bien fournie de refrains, de canzonnette et de noëls de toute espèce et de toutes les époques, qu’il semblait improviser tout ce qu’il chantait de sa voix de basse peu étendue, mais sonore et assez agréable. Aussi Giacomo était-il l’organisateur de toutes les fêtes, la joie des enfans et des jeunes filles, dont il excitait la gaieté par des propos galans et des contes malicieux qu’il inventait à leur intention, en mêlant à ces fictions de sa fantaisie, quel qu’en fût le caractère, son invariable citation : Ecco cosa dicevano san Pietro e san Paolo. Aux longues veillées d’hiver, Giacomo visitait les étables des cultivateurs aisés, où il était attendu et accueilli avec empressement. Dans ces réunions paisibles, qui avaient pour but apparent quelques travaux de ménage, et qui