Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyage souterrain. D’autres voulurent après lui tenter l’aventure. On descendait dans le trou avec la permission de l’abbé du monastère voisin, on traversait les tourmens de l’enfer et du purgatoire, puis chacun racontait ce qu’il avait vu. Quelques-uns n’en sortaient pas ; ceux qui en sortaient ne riaient plus et ne pouvaient désormais prendre part à aucune gaieté. Le chevalier Owenn y descendit en 1153, et fit une relation de son voyage qui eut un succès prodigieux. D’autres disaient que quand saint Patrice chassa les gobelins (esprits follets) de l’Irlande, il fut fort tourmenté en cet endroit, durant quarante jours, par des légions d’oiseaux noirs. Les Irlandais y allaient et éprouvaient les mêmes assauts, qui leur valaient pour le purgatoire. Suivant le récit de Girault de Cambrie, l’île qui servait de théâtre à cette superstition bizarre était divisée en deux parties ; l’une appartenait aux moines, l’autre était occupée par des cacodémons qui y faisaient la procession à leur manière avec un vacarme infernal. Quelques personnes, pour l’expiation de leurs péchés, s’exposaient volontairement dès cette ne à la fureur de ces êtres méchans. Il y avait neuf fosses où l’on se couchait la nuit, et où l’on était tourmenté de mille manières. Il fallait pour y descendre la permission de l’évêque. Celui-ci devait détourner le pénitent de tenter l’aventure et lui exposer combien de gens y étaient entrés qui n’en étaient jamais sortis. S’il persistait, on le conduisait au trou en cérémonie. On le descendait au moyen d’une corde, avec un pain et une écuelle d’eau, pour le réconforter dans le combat qu’il allait livrer au démon. Le lendemain matin, le sacriste tendait de nouveau une corde au patient. S’il remontait, on le reconduisait à l’église avec la croix et en chantant des psaumes. Si on ne le retrouvait pas, le sacriste fermait la porte et s’en allait. Dans des temps plus modernes, la visite aux îles sacrées durait neuf jours. On y passait sur une barque creusée dans un tronc d’arbre ; on buvait de l’eau du lac une fois par jour ; on faisait des processions et des stations dans les lits ou cellules des saints[1]. Le neuvième jour, les pénitens entraient dans le puits. On les prêchait, on les avertissait du danger qu’ils allaient courir, et on leur racontait de terribles exemples. Ils pardonnaient à leurs ennemis et se faisaient leurs derniers adieux les uns aux autres, comme s’ils étaient à l’agonie. Le puits, selon les récits contemporains, était un four bas et étroit où l’on entrait neuf par neuf, et où les pénitens passaient un jour et une nuit entassés et serrés les uns contre les autres. La croyance populaire creusa au-dessous un gouffre

  1. On trouve l’analogue de ceci dans les penity ou cellules des saints de Bretagne du vie et du viie siècle ; mais il faut observer que la plupart de ces saints étaient Irlandais, et qu’ils auront probablement apporté avec eux l’idée de leur purgatoire.