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pour engloutir les indignes et ceux qui ne croyaient pas. Au sortir du puits, on allait se baigner dans le lac, et ainsi l’on avait accompli son purgatoire. Il résulte du rapport de témoins oculaires qu’aujourd’hui encore les choses se passent à peu près de la même façon.

L’immense réputation du purgatoire de saint Patrice remplit tout le moyen âge. Les prédicateurs en appelaient à la notoriété publique de ce grand fait contre ceux qui doutaient du purgatoire. En l’an 1358, Édouard III donne à un noble hongrois, venu tout exprès de Hongrie pour visiter le puits mystérieux, des lettres patentes attestant qu’il avait fait son purgatoire. Les relations de ces voyages d’outre-tombe devinrent un genre de littérature fort à la mode, et ce qu’il importe de remarquer, c’est la physionomie toute mythologique et aussi toute celtique qui y domine. Il est évident en effet que nous avons ici affaire à un mystère ou culte local antérieur au christianisme, et fondé probablement sur l’aspect physique du pays. L’idée du purgatoire, dans sa forme concrète et arrêtée, fit surtout fortune chez les Bretons et les Irlandais. Bède est l’un des premiers qui en parlent d’une manière caractérisée, et le savant M. Th. Wright fait observer avec raison que presque toutes les visions du purgatoire viennent d’Irlandais ou d’Anglo-Saxons qui ont résidé en Irlande, tels que saint Fursy, Tundale, le Northumbrien Drihthelm, le chevalier Owenn. Il est remarquable aussi que les Irlandais seuls pouvaient voir les merveilles de leur purgatoire. Un chanoine d’Emsteede en Hollande, qui y descendit en 1494, ne vit rien du tout. Évidemment cette idée de pérégrinations dans l’autre monde et des catégories infernales est celtique. La croyance aux trois cercles d’existence à parcourir après la mort se retrouve dans les Triades[1] avec une physionomie qui ne permet pas d’y voir une interpolation chrétienne. Les voyages de l’âme dans l’autre vie sont aussi le thème favori des plus anciennes poésies armoricaines. Un des traits par lesquels les races celtiques frappèrent le plus les Romains, ce fut la précision de leurs idées sur la vie future, leur penchant pour le suicide, les prêts et les contrats qu’ils signaient en vue de l’autre monde. Les peuples plus légers du Midi voyaient avec terreur dans cette assurance le fait d’une race mystérieuse, ayant le sens de l’avenir et le secret de la mort. Toute l’antiquité classique est pleine de la tradition d’une île des ombres, située aux extrémités de la Bretagne, et d’un peuple voué au passage des âmes, qui habite le littoral voisin. La nuit, ils entendent les morts rôder autour de leur cabane et frapper à leur

  1. Série d’aphorismes, sous forme de ternaires, qui nous représentent, avec de nombreuses interpolations, l’antique enseignement des bardes, et cette sagesse traditionnelle qui, selon tous les témoignages anciens, se transmettait de mémoire dans les écoles des druides.