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possible pour la pauvre Irlande ! A côté du pays le plus paisible de la terre, où l’on ne voit pas un soldat, et où, sans garde nationale, sans armée, sans force publique d’aucun genre, chacun jouit, à l’éternel honneur de la nation, d’une sécurité parfaite, sous la seule protection de la loi, se trouvait au contraire le pays le plus profondément troublé par une perpétuelle jacquerie. Quand les rapts, les homicides, les incendies et les pillages cessaient un moment, l’agitation ne s’arrêtait pas, elle continuait sous d’autres formes, résumant ses griefs et ses espérances dans ce cri national répété en toute occasion : L’Irlande pour les Irlandais !

Il faut rendre cette justice à l’Angleterre, qu’elle avait fini par reculer devant son œuvre. Il y a trente ans environ, quand des idées plus saines en économie et en politique ont commencé à se faire jour chez elle, elle a compris qu’on avait fait fausse route, et qu’il fallait chercher de meilleurs moyens de s’attacher définitivement l’île-sœur. L’émancipation politique des catholiques irlandais, en 1829, a été le pas décisif dans cette voie nouvelle. Depuis lors, l’Irlande prend part au gouvernement du royaume-uni, et le retour des anciennes violences est devenu impossible. C’était beaucoup sans doute, ce n’était pas assez. Tous les ministères qui se sont succédé de 1830 à 1847 ont compté au nombre de leurs principales difficultés la situation de l’Irlande. Tout le monde cherchait de bonne foi le remède à cette misère tenace, qui, produite par les siècles, semblait exiger des siècles pour disparaître; personne ne l’avait trouvé. O’Connell lui-même, quoique parlant au nom de l’Irlande, n’avait indiqué qu’un moyen à la fois impossible et inefficace, le rappel de l’union : impossible, en ce que l’Angleterre ne pouvait pas, après avoir tant fait pour s’incorporer sa voisine, consentir à s’en séparer; inefficace, en ce que le rappel ne touchait en rien aux véritables élémens du problème, la constitution de la propriété et la surabondance de la population rurale. Les expédions politiques n’y pouvaient rien qu’à la longue; il fallait un remède plus topique et plus immédiat.

Le peuple irlandais ne s’y était pas trompé : il avait, lui, très nettement indiqué un remède; mais on avait fait la sourde oreille, parce que c’était, sous une forme plus ou moins déguisée, un déplacement de propriété. Cela s’appelait tantôt le tenant-right, tantôt la fixité de tenure, et paraissait ne s’appliquer qu’aux rapports du propriétaire et du tenancier. Le tenant-right surtout pouvait passer pour tout à fait inoffensif; il était usité déjà, non-seulement en Irlande, dans la province d’Ulster, mais en Angleterre même, dans plusieurs comtés, et quelques agronomes l’ont regardé comme très juste et très utile. On entend primitivement par là le droit du fermier sortant de se faire rembourser par le fermier entrant les dépenses faites pour des améliorations dont l’effet n’est pas épuisé, unexhausted improvements.