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en Irlande, les capitaux. On fait bien des efforts pour y attirer de riches fermiers anglais ou écossais : toutes les fois que l’un d’eux passe le détroit, tous les journaux en retentissent, pour en amener d’autres; mais on n’a pas encore pu en séduire beaucoup. Les capitaux sont timides de leur nature; ils craignent de s’aventurer dans un pays actuellement pacifié, il est vrai, mais où le souvenir des plus affreux désordres est récent. Tout semble annoncer que la terre d’Irlande continuera d’être exploitée principalement par les Irlandais; la régénération agricole marchera d’abord moins vite, mais elle aura une base plus large et plus naturelle. L’exploitation par les indigènes suppose la petite ou moyenne culture; c’est donc cette forme qui paraît devoir l’emporter. L’exemple de l’Écosse est là pour montrer le parti qu’on en peut tirer, et l’étendue moyenne des exploitations peut être sans inconvénient moins grande en Irlande qu’en Écosse, parce que le sol est plus fertile. 8 ou 10 hectares par terme dans les bonnes terres, une centaine dans les plus mauvaises où les pâtures doivent dominer, et en moyenne une vingtaine environ, voilà probablement la bonne mesure. Dans ces limites, le cultivateur peut non-seulement vivre et payer la rente, mais faire du capital.

La question actuelle, pour que la culture irlandaise produise elle-même les capitaux qui lui manquent et qui paraissent peu disposés à lui venir d’ailleurs, est celle des baux. Là encore, l’Écosse donne d’excellens exemples, qui ne peuvent manquer d’être suivis. Le tenant-right, tel du moins qu’on le comprenait en Irlande, n’est pas nécessaire; c’était une machine de guerre qui n’est plus à sa place dans une société régularisée. Il en est de même des baux perpétuels; au lieu de les étendre, il est à désirer qu’on les réduise, en rachetant la redevance, et en réunissant la nue-propriété à la jouissance de fait. Ce qu’il faut, ce sont de longs baux, avec des rentes modérées, et une attention constante à empêcher la subdivision, ou, si l’on veut conserver la tradition des fermiers at will. une grande bienveillance pour les tenanciers de la part des propriétaires. Ceux-ci doivent renoncer à la tenure en commun, au conacre, à toutes les combinaisons imaginées pour faire un gain momentané aux dépens du sol. En même temps, c’est à eux qu’il appartient de faire certaines avances qui sont impossibles aux simples tenanciers. Tout en s’arrangeant pour céder à la nécessité et se passer en commençant de capitaux tout faits, il en faut toujours un peu, ceux qu’on peut avoir sont extrêmement utiles pour hâter la formation des autres : telles sont les dépenses en bâtimens, marnages, drainage, etc. Partout où s’établit la grande culture, elle peut s’en charger, mais lorsqu’elle manque, ces dépenses fécondes tombent à la charge de la propriété.