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depuis longtemps que possesseur nominal : il paie en une fois les erreurs et les folies de plusieurs siècles.

Quand on décompose les chiffres qui précèdent, on trouve que les propriétés liquidées à la fin de 1852 ont été vendues en moyenne 250,000 francs pour 625 hectares d’étendue, ce qui les met à 400 fr. l’hectare. Certes la terre d’Irlande vaut et surtout vaudra davantage, mais il ne faut pas oublier que, dans ce nombre, figurent en immenses quantités des terres incultes ou très mal cultivées, ce qu’on appelle les Highlands d’Irlande, Irish Highlands. On cite toujours l’exemple du Martin’s Estate, ce domaine si vaste, que la loge du portier était à dix lieues françaises du château, et dont l’héritière est morte dans la détresse, au milieu de l’Océan, en fuyant ce sol qui ne lui appartenait plus. On néglige de dire, comme on l’a fait pour le Sutherland, dans quel état se trouvait cette terre gigantesque, qui ne pouvait plus nourrir ni le maître ni les tenanciers.

Après tout, la cour des encumbered estates ne fait vendre que pour 60 à 70 millions de francs de propriétés par an, c’est-à-dire le cinquantième en étendue, mais en valeur, à peine le centième du sol. À ce compte, la liquidation du dixième le plus obéré de la propriété irlandaise durera dix ans. En France, où nous entourons encore l’expropriation de formalités onéreuses, nuisibles à la fois au créancier, au propriétaire et à la terre, les ventes plus ou moins forcées atteignent aussi par an le centième de la valeur totale de la propriété, et nous n’avons pas, nous, un arriéré de plusieurs siècles à solder. Si les propriétaires irlandais avaient contracté, grâce aux lenteurs interminables et dispendieuses de la cour de chancellerie, l’habitude de ne pas payer leurs dettes, il n’est pas mal qu’ils la perdent, dans leur propre intérêt. Les conditions des ventes s’améliorent d’ailleurs sensiblement depuis un an; les plus malades ont passé les premiers, et, comme il arrive toujours en pareil cas, ce sont eux qui ont le plus souffert. Les terres se vendent maintenant dans les bons comtés presque aussi cher qu’en Angleterre, et, dans les mauvais, sur le pied de 5 à 6 pour 100. Que l’avenir de l’Irlande continue à s’éclaircir, les prix deviendront tout à fait satisfaisans.

Le symptôme le plus caractéristique qu’offrent ces ventes, c’est que la terre se divise sensiblement. Les commissaires, avec les 839 domaines expropriés à la fin de l’année 1852, avaient fait plus de 4,000 lots qui ont été achetés au prix moyen de 50,000 francs. On en a vu beaucoup de 1,000 livres sterling ou 25,000 francs, et ce ne sont pas ceux qui se sont le moins bien vendus. On s’applaudit généralement de cette division, et avec raison; ainsi se forme peu à peu ce qui manquait à l’Irlande, une classe moyenne. Tous les propriétaires ne sont pas absolument dépossédés; il en est qui