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aujourd’hui déserte ! J’ai dit tout à l’heure que ce récit s’adressait aux gens qui se sentaient en disposition triste, j’aurais dû dire qu’il s’adressait aussi à ces éternels recommenceurs, pour prendre à Mme de Sévigné un de ses mots, que les redites de la passion ne lassent jamais; il s’agit ici d’une histoire intéressante seulement pour ceux qui, en cherchant un peu, en trouveraient une semblable dans leurs souvenirs. Gertrude était la femme que tous nous avons entrevue ou cru entrevoir, aimée ou cru aimer. Gertrude a, comme Ellénore, une heure de notre vie qui lui appartient.

Elle était donc assaillie par cette poésie que bien des gens voudraient chasser de la vie, et qui en effet, j’en conviens, y produit souvent de violens orages, mais des orages que pour ma part je regretterais, car lorsque ces tempêtes fondent sur certaines âmes, elles arrachent à toutes les pensées qu’elles y ébranlent des parfums semblables à ceux qu’un ouragan d’été arrache aux arbres en fleurs d’un jardin. Quelquefois elle était prise tout à coup à son piano par des accès de larmes. Elle s’abandonnait avec délices à ces pleurs qu’Ariel essuie de ses cheveux d’or; seulement à cette tristesse enchantée succédait une autre tristesse sans consolation et sans douceur, — le profond ennui de la vie, qu’elle sentait, je crois, comme personne ne l’a senti. Sa prière de chaque heure était celle du saint roi David : « O mon Dieu, délivrez-moi des nécessités de la vie! » Gérion se félicitait de plus en plus des goûts simples de sa compagne, parce que Gertrude ne voulait ni faire ni recevoir une visite. il ne savait pas qu’il entrait dans son logis plus de cavaliers que chez Marion Delorme. Et quels cavaliers que ceux qui du matin au soir entouraient sa femme! Il ne s’apercevait pas que Faust apportait tous les jours à cette Marguerite une nouvelle parure de diamans.

Cependant Gertrude ne rompait avec aucune de ses honnêtes illusions ; elle continuait à vouloir faire du devoir conjugal le but suprême de son existence. Plus d’une fois elle essaya d’attirer son mari dans le mouvement de ses pensées : elle aurait eu tant de joie à parcourir avec lui le beau jardin où elle s’avançait isolée et tremblante ! Ses efforts ne furent pas heureux. Quand le soir elle lisait à François un de ses auteurs favoris, ce brave garçon ne montrait ni impatience ni dédain; il soutenait même souvent contre le sommeil des luttes héroïques et finissant par la victoire. Alors il attachait sur elle un regard où rayonnait une candide satisfaction. Malheureusement, après ce regard, venaient des réflexions à sécher toutes les larmes, à éteindre toutes les flammes de l’enthousiasme. Elle fermait avec douleur le livre dont elle avait attendu un miracle, et, par ses yeux levés au ciel, en appelait b. Dieu de son abandon. Il se levait,