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de sa vie. Elle avait fait décorer, avec un luxe qui était le sujet de tous les entretiens, une sorte de palais bâti par un millionnaire américain que cette construction avait ruiné. Elle me fit un tendre accueil qui ne put avoir rien d’intime toutefois ; son salon ne fut pas vide un instant ; le soir elle avait du monde, et allait ensuite à trois grands bals. « Venez me voir demain, me dit-elle, et vers minuit je vous parlerai. » C’était un singulier jour et une singulière heure pour un rendez-vous, car le lendemain elle donnait une fête dont depuis un mois tout Paris était occupé.

J’étais habitué à lui obéir : je fis sa volonté. Le lendemain soir à onze heures j’entrai chez elle. Le luxe, auquel je suis tout à fait insensible maintenant, ne m’a jamais beaucoup touché. Cependant plusieurs fois, quand j’étais jeune, une profusion de fleurs et de lumières a exercé une certaine action sur mes nerfs, et en montant un large escalier garni de plantes exotiques comme le chemin du Corsaire, je sentais une sorte d’ébranlement qui me préparait à des émotions vives et profondes. La fête de lady Renwood était tout ce qu’une fête peut être : elle n’avait oublié aucun de ces secours empruntés à la matière que la religion elle-même ne dédaigne pas, puisqu’elle associe à ses prières l’or, les parfums et les harmonies ; mais au milieu de ces enchantemens, la véritable magie c’était elle, dans tout l’éclat de sa grâce, de sa jeunesse, des charmes innombrables et mystérieux dont l’avait douée la troupe des fées, — elle à vingt ans. Chez tous ceux qui la regardaient, c’était un même élan d’admiration, c’était pour moi une impression unique ; je sentais comme la joie en même temps heureuse et effrayée d’une chère apparition.

Avec un art dont un goût comme le sien, pour mieux dire une

âme comme la sienne pouvait seule avoir le secret, elle avait pour quelques heures reconquis sur le temps toute sa beauté. J’ai su depuis tout ce qu’elle avait développé de combinaisons, de calculs, d’efforts, dont l’ingénieuse hardiesse m’a presque arraché des larmes d’admiration. Depuis les fleurs, les diamans, les dentelles qui composaient sa parure, jusqu’aux tentures de ses salons, jusqu’aux clartés de chacun de ses lustres, tout avait été disposé, avec une science dont l’esprit d’aucun homme ne serait capable, pour me ménager la vision qui me faisait tressaillir. Je crois aussi que son amour avait attendri quelque puissance divine, car il y avait dans ses yeux, sur ses lèvres, ce que ne peut nous donner aucun artifice, une de ces expressions qui sont des présens du ciel à nos traits. Quand elle m’aperçut, elle s’avança vers moi, elle prit mon bras et me déclara qu’elle ne voulait plus me quitter. Pendant une heure, elle me promena ainsi, montrant à tous par ses regards, par son sourire, par son visage penché sur le mien, par sa voix résonnant sans cesse à