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12 avril et auquel assistèrent les consuls de France, des États-Unis, de Hambourg et de Danemark, tous les habitans européens de Shanghai adhérèrent aux résolutions émanées de l’initiative anglaise, et se concertèrent pour l’érection d’une ligne de fortifications autour de leur ville. Ces points réglés, on se mit immédiatement à l’œuvre. La plupart des résidens s’enrôlèrent comme soldats, apprirent l’exercice et firent d’incessantes patrouilles. On voyait ces riches négocians quitter leurs comptoirs au premier signal, s’armer de leurs fusils de chasse et s’aligner docilement, comme des recrues à l’école du peloton. Jamais troupe ne se montra plus calme, plus décidée en face du péril. Toutes les nationalités étaient fraternellement confondues ; Anglais, Américains, Allemands, Français, etc., se serraient dans les mêmes, rangs. Ils étaient là, relégués sur un coin de terre, à l’extrémité du monde, au milieu d’un peuple inhospitalier. D’un moment à l’autre, ils s’attendaient à recevoir le choc de masses formidables, et cependant ils tinrent bon. Ils auraient pu s’embarquer sur leurs navires, se retirer à Hong-kong et laisser passer la bourrasque : ils ne songèrent qu’à combattre. L’imminence du danger soutenait leur courage, et le sentiment du devoir les attachait au sol de cette patrie d’adoption où ils avaient à garder, non-seulement les immenses intérêts de leur commerce, mais encore l’honneur du drapeau européen. Il y a de la grandeur dans ce tableau. Quelques hommes de cœur bravent froidement la plus puissante et la plus nombreuse des nations asiatiques. Fidèles aux instincts de leur race, ils savent qu’ils ne doivent point reculer, que les intérêts de l’Occident sont entre leurs mains, et qu’une nécessité impérieuse leur commande de-défendre jusqu’au bout ces nouvelles Thermopyles. En combattant pour eux-mêmes, pour leurs magasins remplis de caisses de thé ou de balles de coton, ils combattent aussi pour l’Europe, pour la civilisation, pour la foi chrétienne. Hommage leur soit rendu !

Pendant que la petite colonie se mettait ainsi en mesure de repousser l’ennemi, les ministres des États-Unis et d’Angleterre pensèrent avec raison qu’il importait d’obtenir sans retard des informations précises sur la situation, les forces et les projets des rebelles. Le colonel Marshall, sans trop se préoccuper des commentaires que pourrait éveiller sa démarche, résolut de se rendre à Nankin, en remontant le Yang-tse-kiang sur la frégate à vapeur Susquehannah ; mais les eaux du fleuve étaient trop basses pour ce navire, qui dut s’arrêter à moitié route et revenir à Shanghai. Sir George Bonham procéda avec plus de prudence : «se borna d’abord à envoyer l’interprète du consulat, M. Meadows, dans la direction de Sou-tchou et du Grand-Canal, d’où l’on pensait qu’il serait plus facile de gagner les districts occupés par les insurgés. Parti de Shanghai le 9 avril, M. Meadows arriva le 14 à la ville de Tanyang ; le canal étant presque à soc, il ne put aller plus loin. Toutefois, pendant ce court voyage, il recueillit quelques renseignemens utiles sur l’objet de sa mission. Il rencontra plusieurs détachemens de Tartares échappés au massacre de Nankin et de Chin-kiang-fou, et apprit que l’on évaluait à cent trente mille hommes environ l’armée de Taï-ping. Il fut d’ailleurs complètement édifié sur les déroules successives des troupes impériales et sur les progrès des rebelles ; mais le résultat le plus important de son aventureuse expédition, ce fut la certitude acquise par lui que les mandarins se