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A en juger par le caractère de leur talent, les élèves de Guérin étaient loin d’accepter sans restriction l’influence du maître, et, M. Cogniet excepté, aucun des peintres que nous venons de nommer ne laisserait à coup sûr soupçonner son origine. M. Henriquel-Dupont se trouva donc initié, dans l’atelier même de Guérin, aux secrètes espérances d’un parti qui allait quelques années plus tard se produire au grand jour, se constituer en école, et commencer contre les privilèges académiques cette guerre à demi légitime, à demi injuste, qui a amené quelque bien et engendré beaucoup d’excès : guerre entreprise, comme bien d’autres, au nom d’une réforme et aboutissant à une révolution, où bon nombre des réformateurs devaient à leur insu devenir complices des anarchistes et regretter bientôt, en face de trop vastes ruines, leur ardeur d’émancipation première et leur zèle de destruction.

Des regrets de cette espèce n’étaient pas réservés à M. Henriquel-Dupont. Si, à un moment donné, il semble s’enrôler sous la bannière de l’école romantique, c’est en homme qui n’abdique pas son indépendance et qui prétend ne se compromettre qu’à bon escient. Il ne refuse pas de participer au mouvement dans la mesure de ses inclinations et de ses opinions personnelles; mais il n’admet pour cela ni le programme tout entier, ni toutes les prétentions des novateurs. Que si l’on veut absolument voir des gages donnés au parti dans le Portrait d’Hussein-Pacha, d’après M. Champmartin, et dans certaines planches où le mélange de l’aqua-tinte, de l’eau-forte et du burin trahit chez le graveur des tendances assez peu classiques, on conviendra du moins qu’un révolutionnaire si modéré appartient tout au plus à la classe des girondins de l’art, et qu’en essayant de propager quelques-unes des idées nouvelles, il ne s’associe à aucun abus.

Une fois entré dans l’école de Guérin, M. Henriquel-Dupont dut croire, d’après ce qui se passait sous ses yeux, qu’une obéissance absolue n’était pas au nombre des conditions imposées aux élèves, et que chacun pouvait chercher librement sa voie, fût-elle en sens contraire de la route indiquée par le maître. Les peintres formés par David, devenus chefs d’école à leur tour, ne réussissaient pas, tant s’en faut, à exercer l’autorité despotique qu’eux-mêmes avaient subie, et l’on peut dire que, dans l’intervalle qui sépare le règne du peintre des Sabines de l’époque où M. Ingres ressaisit le pouvoir, les jeunes artistes acceptèrent de leurs maîtres des conseils, mais qu’ils ne consentirent plus à recevoir des lois.

D’où provenait cette différence entre l’attitude des élèves vers la fin de l’empire et ce qu’elle avait été au temps du directoire ? De l’immobilité du système d’éducation, opposée à des besoins nouveaux, à des goûts déjà profondément modifiés. Les élèves de David