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soit à l’aqua-tinte mélangée de divers procédés, permettaient de craindre qu’à force de rechercher la souplesse du faire et la morbidezza, M. Henriquel-Dupont ne tombât en définitive dans la mollesse et dans la langueur. Cette période de transition n’eut heureusement qu’une assez courte durée, et, au lieu de justifier par le résultat les craintes qu’on avait pu concevoir, elle aboutit à un progrès. Éclairé par l’expérience sur les dangers de la méthode anglaise, désabusé sur ses prétendus avantages, comme sur les ressources à tirer de la confusion des procédés, M. Henriquel-Dupont revint à sa première manière. Il renonça à l’aqua-tinte, reprit le burin, qu’il allait manier mieux que jamais, et ne voulut plus puiser ses exemples que dans les œuvres des maîtres français. Ainsi les illusions momentanées du graveur tournèrent au profit de son talent. Qui sait même ? pour acquérir toute sa vigueur et se développer pleinement, ce talent avait besoin peut-être d’une pareille épreuve. Les croyans les plus fervens sont en général les convertis. Si M. Henriquel-Dupont n’avait pas par lui-même connu et expérimenté l’erreur, aurait-il aujourd’hui autant de zèle pour la vérité ? Quoi qu’il en soit, les planches qu’il a publiées depuis une quinzaine d’années attestent une foi entière dans les sains principes de notre ancienne école et une pratique irrévocablement sûre. A peine un de ces ouvrages, le Christ consolateur, d’après M. Scheffer, laisserait-il entrevoir encore quelque indécision, explicable d’ailleurs par le dessin un peu vague et le style un peu flottant du modèle. Partout ailleurs on reconnaîtra un esprit guéri du doute et une main qui n’hésite plus.

Cette seconde phase du talent de M. Henriquel-Dupont date de la publication du Strafford, gravé d’après M. Delaroche. Jusque-là, M. Henriquel-Dupont avait mérité d’être mis au nombre des graveurs les plus distingués de la jeune école; à partir de ce moment, sa place fut marquée parmi les maîtres. MM. Tardieu et Desnoyers eurent enfin un rival, et ces deux artistes, qui avaient courageusement résisté aux entraînemens de la mode, ces disciples obstinés de la vieille et grande école, ne furent plus seuls à en perpétuer les mâles traditions. La planche de M. Henriquel-Dupont est une des plus belles qui aient été produites en France depuis le commencement du siècle. Toute proportion gardée entre les modèles, elle peut être rapprochée des Vierges de M. Desnoyers, et si l’on se rend compte des ressources restreintes qu’offrait, au point de vue du coloris, la traduction de l’œuvre originale, on admire d’autant plus la chaleur de ton que le graveur a su introduire dans son travail.

La toile de M. Delaroche se recommande, on le sait, par l’habileté de la mise en scène, par le goût et l’esprit avec lesquels chaque détail est traité; mais en dehors de l’intérêt dramatique inhérent au