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sujet, ce tableau n’impressionne pas aussi vivement que plusieurs autres du célèbre peintre. La verve d’exécution qui distingue le Cromwell et le Charles Ier à White-Hall, la couleur solide et harmonieuse de la Mort du duc de Guise, ne se trouvent pas ou se retrouvent à un moindre degré dans le Strafford. Ces personnages vêtus, à l’exception d’un seul, de noir et de blanc, et se détachant sur un fond terne, donnent à l’aspect général une sorte de dureté. En face des conditions qui lui étaient faites, M. Henriquel-Dupont avait donc une tâche difficile. Certes il ne lui appartenait pas de changer absolument les teintes locales choisies par le peintre, mais il était dans son droit, en essayant de les modifier, de les enrichir, et de suppléer par la variété des tons partiels à l’uniformité un peu aride de l’ensemble. Ce que Gérard Audran avait fait quelquefois pour les tableaux de Lebrun, M. Henriquel-Dupont le fit pour le tableau de M. Delaroche : il sut le traduire fidèlement, tout en le complétant au fond, et y ajouter quelque qualité nouvelle sans pour cela le transformer. Le Strafford gravé a tous les genres de mérite qui distinguent la peinture originale. Même conscience dans le dessin, même habileté patiente dans l’imitation des détails d’ajustement, même sentiment du relief et de la vérité palpable ; en outre, l’effet est devenu plus souple, le coloris a acquis une transparence qui n’ôte rien à la fermeté de l’aspect, et les parties dans l’ombre sont vigoureuses sans âpreté ou reliées entre elles sans mollesse. Quant à la manœuvre même, elle a ici, selon le cas, tantôt une sobriété sévère, tantôt une finesse qui atteste l’extrême docilité du burin. A côté de morceaux largement exécutés, certains autres, — comme les chairs, les cheveux, les pièces d’armure, — sont traités si délicatement, que le procédé ne se laisse pas deviner, et qu’on reconnaît seulement l’apparence d’un corps souple, soyeux ou inflexible, là où il n’y a que des tailles diversement entrecroisées, des sillons plus ou moins profonds.

Le Strafford révélait dans le talent de M. Henriquel-Dupont un progrès considérable : le Portrait de M. Bertin, d’après M. Ingres, vint prouver, quelques années plus tard, que ce progrès ne s’était pas accompli uniquement dans la gravure d’histoire. On sait que la gravure de portrait a ses lois particulières, que l’étalage du moyen matériel serait déplacé là plus que partout ailleurs, et qu’il convient de subordonner à la vérité de l’aspect, au caractère formel de la physionomie, des accessoires qui, dans d’autres cas, peuvent avoir une importance beaucoup plus grande. Voyez les admirables morceaux en ce genre qu’ont laissés les maîtres du XVIIe siècle et même les portraits gravés en France au commencement du XVIIIe : quelle science discrète, quel sentiment puissant, et en même temps quelle réserve dans les moyens employés pour le traduire ! M. Henriquel-Dupont