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LA
BOUTEILLE À LA MER.


CONSEIL À UN JEUNE HOMME INCONNU.[1]

I.

Courage, ô faible enfant, de qui ma solitude
Reçoit ces chants plaintifs, sans nom, que vous jetez
Sous mes yeux ombragés du camail de l’étude.
Oubliez les enfans par la mort arrêtés ;
Oubliez Chatterton, Gilbert et Malfilâtre ;
De l’œuvre d’avenir saintement idolâtre,
Enfin oubliez l’homme en vous-même. — Écoutez :

II.

Quand un grave marin voit que le vent l’emporte
Et que les mâts brisés pendent tous sur le pont,
Que dans son grand duel la mer est la plus forte
Et que par des calculs l’esprit en vain répond ;
Que le courant l’écrase et le roule en sa course,
Qu’il est sans gouvernail et partant sans ressource,
Il se croise les bras dans un calme profond.


III.

 
Il voit les masses d’eau, les toise et les mesure.
Les méprise en sachant qu’il en est écrasé,

  1. Ce poème est détaché du volume inédit des poèmes philosophiques de M. Alfred de Vigny, dont la Revue des Deux Mondes a déjà publié successivement : la Maison du berger, — le Mont des Oliviers, — la Sauvage, — la Flûte, — la Mort du Loup.