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même d’y être sérieusement contraints par les circonstances, et dans l’état actuel cette déclaration n’est point sans importance. Le passage du Sund a pour la navigation dans les mers du nord de l’Europe la même importance qu’ont les Dardanelles au sud, et l’empereur Alexandre le comprenait si bien, qu’il appelait les deux détroits les clés de sa maison. Qu’on suppose le Danemark fermant en cas de guerre le passage du Sund aux flottes des puissances occidentales ; ne serait-il pas comme im avant-poste de la Russie ? La déclaration de neutralité des états Scandinaves, leurs armemens pour soutenir cette neutralité, ne sauraient donc être considérés que comme des actes de réelle indépendance vis-à-vis du tsar. — Ainsi quel est le résumé de la situation actuelle du continent ? La question orientale est arrivée à un degré de gravité où elle ne semble plus pouvoir être tranchée que par la guerre. D’un moment à l’autre, des incidens nouveaux peuvent surgir ; mais, cette extrémité terrible acceptée dans l’intérêt et l’honneur de l’Occident, c’est aux quatre grandes puissances de l’Europe à songer que par leur accord elles peuvent ramener promptement la paix, comme aussi par leurs divergences et leurs antagonismes elles peuvent ouvrir la porte à une guerre longue et sanglante, épreuve nouvelle pour l’humanité et la civilisation.

Lorsque des questions semblables éclatent en quelque façon dans la politique, comme elles s’agitent sur un théâtre lointain et qu’elles n’ont point pour but un intérêt immédiatement saisissable, il est rare que dès l’origine elles passionnent l’opinion dans les pays mêmes dont les gouvememens ont à exercer quelque action. On les voit d’abord avec une certaine indifférence, on les considère un peu comme une occupation de luxe que se donnent les gouvememens et les peuples. Bientôt cependant l’opinion s’émeut par degrés, l’intérêt passe du cabinet des politiques dans toutes les autres sphères sociales. Il y a un moment où l’esprit public finit par s’échauffer et s’exalter. La masse n’a point sans doute une intelligence précise de ces complications qui tiennent tout en suspens ; mais l’instinct du patriotisme lui révèle l’existence d’une lutte sérieuse entre un intérêt national et un intérêt étranger, et cela suffit. C’est ainsi que la question d’Orient a son retentissement intérieur. Depuis quelque temps, on peut remarquer un certain degré d’animation qui a grandi à mesure que les conjonctures s’aggravaient. S’il fallait résumer l’état de l’opinion, on pourrait dire que la question orientale et les considérations d’équilibre politique qui s’y rattachent ne sont point sans doute plus près d’être comprises dans leurs détails ; mais de tous côtés il y a eu contre la Russie ce grief universel de la sécurité trompée, des intérêts atteints, des transactions interrompues. La Russie, il y a quelque temps encore, jouissait du plus grand ascendant sur le continent, elle était arrivée au plus haut point de considération : elle n’aboutit aujourd’hui qu’à soulever contre elle le patriotisme européen. Ce n’est pas seulement par ce côté moral du patriotisme mis en éveil que la question d’Orient fait sentir son action dans notre mouvement intérieur, elle y a sa place aussi sans nul doute par l’influence qu’elle exerce sur la situation matérielle et sur tous les intérêts. Ici chaque phase nouvelle, chaque aggravation des complications présentes se traduit en chiffres, en entreprises suspendues, et rouvre la perspective de dépenses considérables pour l’état. De là les vives préoccupations qui s’at-