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sont, vous disons-nous, la sève, la vie, l’éclat, l’intelligence, l’éloquence de ce siècle ! — et ils le prouvent en se le disant à eux-mêmes, puisque personne n’est tenté de le leur dire, ils gesticulent devant le public, ils font le compte du nombre de mots que leur machine est susceptible de coucher sur le papier d’un jour à l’autre, et ils imaginent qu’ils font ainsi de la littérature ! Il ne s’aperçoivent pas que la littérature est une autre chose qu’ils sont très excusables de ne pas comprendre, vu leur jeunesse sans doute, — qu’ils représentent une mode qui a eu cours il y a quelque vingt ans, et qui est passée comme toutes les modes passent, qu’ils ne sont plus ni gais ni amusans, et que le public, assez ébahi et très indifférent, les considère un peu comme des revenans d’un autre monde. Ces esprits-là et d’autres encore sont de très diverse sorte : ils peuvent se faire la guerre ; il faut toutefois leur rendre cette justice, qu’ils s’accordent en un point, — dans la haine commune qu’ils nourrissent contre cette Revue. Oh ! pour cela, les fantasques et les nébuleux prêtent la main aux inventeurs épuisés. À vrai dire, les hommes de la Revue, comme on se plaît à les nommer quelquefois, — le directeur, qui a le premier honneur de ces attaques aussi bien que ses collaborateurs, sont certainement d’esprit à ne point s’inquiéter outre mesure de ce déchaînement, tant qu’il n’excède pas, bien entendu, les limites littéraires. Dans le fait, ils l’ont bien mérité, et ils tâcheront de le mériter encore. Ils ont l’humeur bizarre et rebelle aux adulations vulgaires. Ils ont eu l’étrange prétention de garder toujours la liberté et l’indépendance de leur esprit. Ils ne s’emploient pas à broyer un encens équivoque pour les idoles si bien disposées cependant à le recevoir. Ces idoles, ils ont voulu souvent les voir et les toucher de près, en analysant leurs œuvres, pour savoir si elles sonnaient creux ou si elles ne sonnaient pas du tout, et si elles n’étaient pas par hasard de la plus humble argile. Voilà leur grand et suprême crime ! Il auraient pu contester Dieu, travailler, eux aussi, à mettre la société à mal, c’était chose permise ; mais porter atteinte aux idoles, mais discuter ! à quoi ont-ils songé ? Après cela, même en fait d’idoles, on leur rendra bien cette justice, qu’ils ne s’occupent pas de toutes, et, s’il leur venait à l’esprit une fois d’invoquer à leur tour la muse de l’ironie pour peindre au naturel ces personnages littéraires si bien remplis d’eux-mêmes, ils n’auraient qu’une crainte, c’est qu’on vînt leur dire que le silence est aussi une justice, et que c’est bien assez de s’arrêter, dans la littérature actuelle, aux œuvres et aux esprits chez qui éclate ou se maintient cette distinction que communique un instinct véritable de l’art.

Il est en effet un terrain naturel, c’est celui de l’art, où se retrouvent sans effort tous les esprits sincères. Là ils se rencontrent, loin des atmosphères malsaines, comme en un lieu connu et préféré. Ils peuvent différer sans doute, et ils diffèrent effectivement ; ils n’ont ni les mêmes goûts, ni les mêmes répugnances, ni les mêmes tendances. Ils envisageraient peut-être bien des choses sous des aspects opposés ; mais il est du moins des talens qui, au milieu de leurs inégalités et de leurs faiblesses passagères, savent garder leur relief. Ils ne s’occupent pas à attrouper les passans. S’ils racontent les inventions de leur esprit, ils tâchent de le faire avec la bonne grâce d’une imagination juste ; si c’est l’histoire qu’ils évoquent, ils s’efforcent de l’interroger