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aveugle et passionnée l’avait rendu nécessaire : thèse d’opposition qui n’infirmait en rien la valeur des objections présentées par les hommes d’état les plus sympathiques à la France et les plus favorables à la paix.

La nation anglaise ne vit dans la signature des préliminaires du traité à Londres qu’un moyen d’obtenir au plus vite des passeports pour Paris ; mais l’instrument définitif n’était pas encore signé, que l’entraînement d’un jour avait fait place à la méfiance et presque à la haine. Lorsqu’on vit Napoléon transformer la république cisalpine en république italienne pour en prendre le gouvernement direct ; quand il eut divisé le Piémont en six départemens français, rayé le duché de Parme de la carte d’Italie, reçu de l’Espagne la Louisiane pour prix de l’Etrurie, et conféré à Paris l’investiture de ce nouveau royaume à un prince vassal, comme on la conférait à Rome aux satrapes d’Asie, alors l’émotion prit un cours plus menaçant d’heure en heure. Elle s’accrut lorsque le premier consul eut fait rentrer une armée dans la Suisse à peine évacuée, pour y soutenir le parti français attaqué par l’oligarchie bernoise avec l’aide des petits cantons, donnant pour seul motif de sa conduite que nulle part en Europe il ne souffrirait le triomphe de la contre-révolution, argument qui conduirait à brûler les cartons de toutes les chancelleries. Enfin l’émotion devint irrésistible lorsqu’il fallut assister à la complète transformation opérée en Allemagne par les sécularisations, transformation accomplie sous l’influence exclusive, quoiqu’en ceci parfaitement légitime, de la France, assistée de la Russie et de la Prusse.

C’était afficher déjà sur l’Occident tout entier une domination que l’Autriche au désespoir pouvait subir au lendemain d’une défaite, que la Prusse acceptait temporairement, parce qu’elle lui rapportait alors de gros profits, mais à laquelle une puissance forte et inexpugnable comme l’Angleterre ne pouvait se résigner. Plus de modération et quelques ménagemens de la part du premier consul auraient suffi, sinon pour écarter toutes les chances de guerre, du moins pour prolonger cette paix, qui était encore dans ses vœux, comme dans les plus chers intérêts du pays, à l’instant même où sa fière altitude en rendait la rupture inévitable. Il commençait à être pris du vertige sur ces hauteurs qu’aucun mortel n’avait encore habitées, et sa fortune était telle que son âme même ne fut pas assez grande pour la supporter sans fléchir.

La plupart des entreprises du premier consul n’étaient point, il est vrai, matériellement contraires au texte du traité d’Amiens, puisque ce traité avait passé sous silence les faits antérieurs qui servaient habituellement de prétexte à ces entreprises mêmes. Toutefois, lorsqu’au moment suprême, à la veille de reprendre ces armes que toute une