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guerre avec la Russie, arrêta brusquement le cours de ses pensées, engagées dans la large voie des réparations sociales : elle imprima dès son début à l’empire de Napoléon un caractère tout différent de celui de cette magistrature consulaire, demeurée l’éternel honneur de sa vie. Ses plus dangereux penchans se développèrent au détriment de ses plus nobles instincts, et l’empire, qui semblait appelé à devenir dans la paix le plus fécond comme le plus glorieusement légitime des pouvoirs, devint dans la guerre et par la guerre un instrument de domination universelle destiné à se briser tôt ou tard contre la force des choses.

Le moment était venu en 1802 de fixer le sort de la nation et de donner à celui qui lui avait départi tant de biens un témoignage de reconnaissance digne d’elle-même et digne de lui ; mais on fit en cette occasion assez d’honneur aux idées républicaines pour se croire obligé de transiger avec elles, et l’on tenta de concilier par le consulat à vie toutes les réalités monarchiques avec ce qui survivait enrôle de préjugés républicains. J’ose dire que cette transition entre le consulat décennal et l’empire fut à la fois un malheur et une faute. En reculant l’avènement de l’empire jusqu’en 1804, on lui donna la guerre pour berceau, tandis qu’il aurait pu naître dans l’enivrement de la paix générale, comme gage et comme couronnement de cette paix même. Le restaurateur de l’ordre social, l’inspirateur des codes, l’auteur du concordat, le signataire des traités de Lunéville et d’Amiens distançait déjà d’assez loin les autres hommes pour pouvoir dès ce jour-là poser sur son front un diadème, lui arrachant une société à l’abîme par son intelligence encore plus que par son épée, il avait déjà poussé dans l’histoire des racines aussi profondes que les plus vieilles dynasties. Napoléon le comprenait et voyait clairement qu’il avait encore quelque chose à demander à la fortune et à la France. Le consulat à vie, bien loin de calmer son imagination et de l’empêcher d’aspirer au rang suprême, l’y excita davantage, et pour peu qu’on médite sérieusement sur les événemens écoulés de 1802 à 1804, on demeure convaincu que cette excitation fut la cause principale des erreurs de sa politique et des superbes exigences d’où sortit bientôt après la troisième coalition. Blessé du rang où son titre et sa position viagère semblaient le placer vis-à-vis des races royales, il se montra d’autant plus fier qu’il n’était pas encore l’égal des rois, et que pour le devenir il croyait avoir besoin de conquérir encore des titres nouveaux en ajoutant d’autres victoires à ses victoires. Dans l’âme de cet homme qui se sentait né pour le trône et qu’on avait malhabilement convié à grandir encore afin de l’obtenir, il se fit dans le cours de ces deux années un travail d’ambition, d’orgueil et de colère dont l’œil attentif peut suivre les traces jour par