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Beaumarchais, qui feignait d’acheter ces fusils pour les envoyer aux colonies, se trouvait donc soumis à l’obligation du cautionnement, et comme le gouvernement français pouvait seul fournir les attestations nécessaires pour obtenir plus tard la restitution de cette somme, il avait été convenu, par un traité du 18 juillet 1792, entre Beaumarchais et le dernier ministère de Louis XVI, que celui-ci avancerait les 50,000 florins demandés à titre de cautionnement. On sait que le gouvernement français avait déjà avancé, pour l’achat de ces fusils, une somme de 500,000 fr. en assignats : mais on n’a pas oublié non plus qu’en nantissement de cette somme d’assignats, valant au cours d’alors trois cent mille francs, il avait fait déposer par Beaumarchais une somme de 745,000 francs en titres de rentes, qui, en 1792, avaient encore toute leur valeur[1]. Le gouvernement pouvait donc sans inconvénient accorder sur cet excédant de dépôt une nouvelle avance de 50,000 florins.

La révolution du 10 août avait arrêté la marche de cette opération, qu’on savait entamée, et qui, en ne se terminant pas, exposait à la redoutable malveillance du peuple celui qui s’en était chargé. Le nouveau ministre des affaires étrangères, Lebrun, que Beaumarchais soupçonnait, à tort ou à raison, d’avoir l’intention d’exploiter l’affaire à son profit en la confiant à des sous-ordres, refusait de remplir les engagemens du précédent ministère. Cependant, à la suite d’une délibération d’une commission de l’assemblée législative, appelée commission des armes, qui déclarait que Beaumarchais avait bien mérité de la nation, et qui insistait auprès du ministre pour qu’il fût mis en mesure d’achever cette entreprise, Lebrun s’était enfin décidé à donner à l’auteur du Mariage de Figaro un passeport, en promettant de lui faire tenir à La Haye le cautionnement demandé pour obtenir la remise des fusils. Sur la foi de cette promesse du ministre, Beaumarchais était parti pour la Hollande en passant par Londres, où il avait emprunté à tout hasard une assez forte somme à un négociant anglais, son correspondant et son ami. Arrivé à La Haye, il trouve le ministre de France sans instructions à son égard et sans argent ; il se voit de plus croisé dans toutes ses démarches par des agens secrets du ministre Lebrun qui déjà l’avaient fait emprisonner à l’Abbaye à la veille des massacres de septembre. Vainement il écrit de Hollande lettres sur lettres à Lebrun pour lui rappeler ses promesses. Lebrun ne fait que des réponses évasives, renvoie Beau-

  1. Ce n’est pas 750,000 francs, comme nous l’avons dit, mais 745,000 francs que Beaumarchais avait déposés dans les mains du gouvernement en contrats viagers sur l’emprunt dit des trente têtes de Genève, garanti par la ville de Paris. Ces contrats donnaient à Beaumarchais un revenu annuel de 72,000 fr. Il avait été formellement stipulé qu’il n’engageait que le titre, et qu’il continuerait à toucher les arrérages.