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pas alors s’expliquer ouvertement sur cette entreprise du département, parce qu’on aurait été réduit à la nécessité de publier l’objet d’une mission dont le secret importait à la république[1]. La présence du citoyen Beaumarchais en pays étranger a été nécessaire jusqu’au moment où, le secret de sa mission ayant été divulgué à la tribune, les Anglais ont fait transporter les fusils des magasins de Tervère dans leurs ports, dans le courant de vendémiaire an III[2]

« Rien n’aurait empêché le citoyen Beaumarchais de rentrer en France, car il n’avait plus l’espoir de remplir sa mission : mais il était porté sur la liste des émigrés, il ne pouvait rentrer qu’après avoir obtenu sa radiation.

« Ce fut injustement que l’on inscrivit son nom sur la liste des émigrés, puisqu’il était absent pour le service de la république.

« Robert Lindet. »


Dans une autre lettre, l’ancien membre du comité de salut public insiste encore auprès du ministre de la police, Cochon, en faveur de Beaumarchais.


« Je ne cesserai jamais, écrit-il, de penser et de déclarer dans toutes les occasions que le citoyen Beaumarchais est injustement persécuté, que le projet insensé de le faire passer pour émigré n’a été conçu que par des hommes aveuglés, trompés ou mal Intentionnés. Sa capacité, ses talens, tous ses moyens, pouvaient nous servir. On a voulu lui nuire, on a plus nui à la France. Je voudrais être à portée de lui exprimer combien j’ai été affecté de l’injustice dont il a été l’objet. Je remplis un devoir, et je le remplis avec satisfaction en pensant à lui.

Robert Lindet. »
« À Paris, le 16 nivôse an IV. »


Mais si Lindet, devenu suspect lui-même en 1796, éprouvait le besoin de rendre à Beaumarchais une justice un peu tardive, il ne l’en avait pas moins laissé sacrifier au fort de la terreur, car, non content de faire saisir ses biens, le comité de sûreté générale, par un arrêté du 17 messidor an II (5 juillet 1794), signé Dubarran, Lavicomterie, Élie Lacoste et Amar, avait fait arrêter et emprisonner la femme, la fille et la sœur de l’homme que le comité de salut public avait chargé d’une mission secrète. Grâce à cette dissidence d’opinion entre les deux comités, deux malheureuses femmes et une jeune fille de dix-huit ans, détenues dans le couvent de Port-Royal transformé en prison, et que, par une dérision atroce, on appelait Port-Libre, attendaient leur tour de monter sur la fatale charrette, lorsque la journée du 9 thermidor mit fin à ces boucheries. Onze

  1. Hubert Lindet ne veut pas avouer ici que c’est sur un arrêté du comité de sûreté générale que le département de Paris replaça de nouveau sur la liste des émigrés Beaumarchais, agent du comité de salut public ; mais le conflit des autorités ressort suffisamment de sa lettre.
  2. Nous expliquerons plus loin comment se termina l’opération imposée à Beaumarchais.