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C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l’art des vers atteindre la hauteur.

Ce serait vraiment trop commode, ajoutait un jour l’abbé Zamaria en effleurant de sa main les joues de Lorenzo, si l’on pouvait élever de jolis virtuoses comme toi, ainsi qu’on apprend à un papagallo à bégayer péniblement quelques mots confus. Non, non, me disait souvent mon maître le grand Benedetto Marcello, on ne va pas en paradis avec des coffres remplis de zecchini d’or, et, pour pénétrer dans le monde des belles choses, il faut être armé du rameau fatidique sans lequel on ne franchira jamais les rives éternelles. N’est-ce pas, signora Beata, que ces principes vous paraissent aussi vrais qu’à moi ? Lorsqu’il s’agit des beaux-arts, et surtout de musique, l’opinion des femmes est très importante à consulter.

Beata répondit à cette interpellation par un sourire gracieux qui éclaira son beau visage d’un rayon lumineux. À ces causeries pleines de substance et d’incidens comiques succédaient des scènes plus animées, où l’abbé Zamaria donnait l’exemple, pour ainsi dire, des principes qu’il venait de développer. Il fallait le voir alors assis à son vieux clavecin, frappant de ses mains osseuses et jaunâtres sur un petit clavier qui ne dépassait pas cinq octaves, et dont les sons aigrelets ressemblaient à ceux d’une mandoline. — Allons, mon ami, disait-il à Lorenzo, chantons ensemble ce joli duo de Clari que tu as appris l’autre jour, et qui a pour objet l’éloge de la musique : — Do, ré, mi, che bella cosa che la musica ! quelle belle chose que la musique ! — Sur ces paroles fort simples, l’abbé Clari a fait un morceau exquis, un canon à la sixte inférieure, d’une facture ingénieuse et savante. Tu n’as pas oublié, je l’espère, ce qu’on entend en musique par un canon ? C’est une phrase plus ou moins longue, qui, après avoir été exposée par une voix, est reproduite par les autres jusqu’à la cadence qui forme le point d’arrêt ; puis les phrases recommencent et se poursuivent ainsi jusqu’à la conclusion, comme un écho qui répète à des intervalles marqués le son qui l’a frappé. Il y a des canons à deux, à trois, à quatre et même à six parties. C’est une forme un peu vieillie aujourd’hui, qui était fort à la mode du temps de l’abbé Clari, vers la seconde moitié du XVIIe siècle. Ce savant compositeur, dont l’imagination était remplie de grâce, est né à Pise en 1669. Il a été maître de chapelle à Pistole, où il a publié en 1720 une nombreuse collection de duos et de trios avec un simple accompagnement de basse chiffrée qui sont des chefs-d’œuvre d’élégance. L’abbé Steffani, un nostro Veneziano, puisqu’il a vu le jour à Castelfranco, sur le territoire de la république, a imité avec bonheur la manière de l’abbé Clari ; mais les duos de l’abbé Steffani, qui a vécu longtemps à