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— C’est dit ! s’écria-t-il ; Dieu soit béni ! l’enfant nous revient. Avez-vous entendu ce qu’il veut faire, vieille Trina ?

— Le vent emporte les paroles, répliqua froidement la grand’mère, il faudra voir les actions.

— Nous les verrons, nous les verrons ! reprit le chercheur de cristal ; sur mon âme ! il faut qu’il reprenne goût à la vie libre. Ce soir, je prierai le Père céleste de l’encourager et de conduire sous son fusil le plus bel empereur des chamois !

— Oui, s’écria Urich en saisissant le bras du vieillard. Ah ! demandez cela, oncle Job ; pour un tel bonheur, je donnerais la meilleure part de ma vie !

En prononçant ces derniers mots, le jeune homme avait jeté à Fréneli un regard que le cousin Hans surprit au passage. Son front se plissa et ses lèvres se contractèrent ; mais il garda le silence. Ulrich prit congé et disparut avec l’oncle Job. Alors, fixant sur la jeune fille un regard scrutateur qui la força à baisser les yeux en rougissant, Hans remua la tête comme un homme dont les doutes sont éclaircis, reprit sa carabine et quitta silencieusement la cabane.


II

Le lendemain, bien longtemps avant que le jour parût, Ulrich et le vieux chercheur de cristaux étaient debout, se préparant tous deux à leurs expéditions.

L’oncle Job habitait un chalet encore plus petit et plus misérable que celui de la mère Trina. Son mobilier se bornait à un lit, à une petite table et à trois escabeaux ; mais les quatre murs étaient garnis des collections qu’il avait recueillies dans la montagne. Ces pierres brillantes, ces herbes desséchées, ces papillons et ces insectes aux ailes multicolores qui tapissaient la cabane, lui donnaient je ne sais quel air d’étrangeté, auquel ajoutait le vieillard lui-même avec son costume antique, sa barbe grise à demi longue, et ses cheveux dont les boucles blanches tombaient jusque sur son cou. L’oncle Job jetait à ses richesses un dernier regard d’amour, tout en s’enroulant dans la corde à nœuds qui devait lui servir à atteindre le gisement découvert la veille, et en chargeant son sac de voyage des crampons de fer, des boulons et de la courte pince indispensables à sa périlleuse recherche. Pendant ce temps, Ulrich s’était également occupé de son équipement. Il examina avec soin sa carabine, vieille arme de chasseur de chamois, dont l’unique canon renfermait deux coups superposés qu’au moyen d’une double batterie on tirait successivement. Après s’être assuré que chacune de ces batteries avait son amorce, il les recouvrit d’une enveloppe de cuir, et alla rejoindre l’oncle Job, qui l’attendait sur le seuil.