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Morne, s’abandonnait à ses pressentiment
Son âme, aux jours d’après, partait à tous momens,
Cet homme qui jadis, plein d’une ardeur si fière,
Avait, sans se lasser, couru l’Europe entière.
Pour se tenir debout n’était plus assez fort.
Un soir, il se dressa par un suprême effort ;
Aux rayons du couchant, appuyé sur sa fille,
Il voulut voir encor ses plantes, sa charmille,
Deux poiriers qu’autrefois il greffa de sa main ;
En rentrant, il était vaincu. Le lendemain,
La poussière des morts, dans un coin solitaire,
Tombait obscurément sur le vieux militaire, —
Et, sur le sillon clos, Jacqueline, à genoux,
Disait : Seigneur ! Seigneur ! je me confie à vous !


II


Deux ans sont écoulés. — Nos troupes africaines,
Poursuivant l’ennemi par montagnes et plaines.
L’atteignaient, le serraient aux alentours d’Oran.
Après vingt jours de marche au soleil dévorant,
— C’était dans la saison dont la flamme calcine, -
La France bivaquait au flanc d’une colline,
En face de plateaux sauvages, escarpés,
Par l’indomptable Émir fièrement occupés.
C’est la nuit. Il faudra, dès l’aurore prochaine,
Par un sanglant combat conquérir l’âpre chaîne.
La France, en attendant, sous les étoiles d’or,
Sommeille, plus tranquille et plus sereine encor !
Recueillement partout et muettes attentes.
Le promeneur venu vers l’une de nos tentes,
S’il eût prêté l’oreille, aurait pu toutefois
Dans ce calme profond reconnaître deux voix.

— Enfin, sergent très-cher, nous aurons une fête,
Disait l’une ; demain, je l’espère parfaite.
Si j’allais empoigner ce gueux d’Abd-el-Kader,
C’est cela qui serait fameux !

— Tais-toi, Muller,
Murmurait l’autre voix. Bavard impitoyable,
Laisse-nous en repos, ou je te donne au diable.
Après un tel chemin, n’es-tu point fatigué ?

— Moi ? jamais je ne fus plus dispos et plus gai.
C’est que, vois-tu, Rousseau, rien ne me ravitaille
Comme de respirer un parfum de bataille.
Supporter en silence une grêle de maux,