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Nous posons la question et ne songeons pas à la résoudre ; mais pour en montrer la difficulté et l’étendue, peu d’époques méritent plus d’être étudiées que celle du ministère de Richelieu ; c’est assurément un des grands momens historiques de la France. Tous les élémens du gouvernement et de la société que nous retrouvons un siècle et demi plus tard existaient dès lors, bien qu’inégalement développés, et de leur lutte ou de leur accord est résulté ce qui était alors l’avenir. Nous qui le connaissons à présent, cet avenir, il nous est facile de nous en faire les prophètes.


III

Pour connaître dans ses origines la France politique, il n’est pas besoin de remonter plus haut que le règne de Charles V. Ce sage roi, disons ma pensée. Ce grand roi offre la meilleure image de ce que devait être le prince dans la vieille société française ; il n’est pas jusqu’à son caractère pacifique qui ne contribue à faire dominée en lui le magistrat sur le seigneur, et à le rendre un représentant anticipé de ce pouvoir de robe longue qui emploie les armées et ne les commande pas, en un mot de la royauté administrative. Qu’importe au reste qu’il ne fût pas guerrier ? Il avait Duguesclin. Son autorité était sortie plus forte des cruelles épreuves de la guerre étrangère et de la guerre civile ; sa sagesse et sa fortune imposaient à l’ambition des grands feudataires, et commençaient pour le peuple quelque chose qui ressemblait au bonheur public ; son despotisme même eût été accueilli par les masses comme une protection. Mais cet élément de liberté, partout présent dans le moyen âge à côté de l’élément du pouvoir, les états-généraux, qui revenaient de temps en temps pour soutenir et admonester la royauté, trop faibles pour s’en faire obéir, étaient assez forts pour s’en faire écouter. Enhardis par les troubles, ils avaient disparu avec la paix. Charles avait su éluder leur puissance, mais il avait compris leurs conseils. Maître des affaires, il modéra lui-même son pouvoir et se posa des règles, ce qui équivaut à reconnaître des droits. Un roi législateur cesse par le fait d’être absolu. Enfin nous parlons ici d’une de ces royautés tant soit peu bourgeoises comme les aime la France, et qu’elle n’estime qu’en les perdant.

Par malheur Charles VI mit la démence, sur le trône, et la France fut conquise. Des ambitions rivales se la disputèrent par la trahison. L’audace des partis ne connut plus ni frein, ni loi, ni patrie. L’oppression étrangère suscita du sein du peuple des vengeurs à la France. À leur tête, brille d’un éclat poétique et sacré cette jeune fille abandonnée lâchement de ceux qu’elle avait sauvés, car la gloire