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se mettre en crédit. La reine voulait gouverner son fils plutôt que le royaume ; le roi s’efforçait de lui échapper par humeur ou par jalousie plus que par amour du pouvoir. Le favori de l’une luttait contre le favori de l’autre, tandis que les chefs des partis aristocratiques coalisaient tous les mécontens contre le plus fort des deux. Une histoire raisonnée de ce temps est impossible. Tout y est livré au hasard des caractères ou des passions individuelles. C’est un de ces temps dont le spectacle encouragerait le scepticisme politique, et ferait croire que le drame historique est tout composé d’épisodes.

Richelieu n’était qu’un simple gentilhomme, mais il ne dépendait d’aucun grand seigneur. Sa famille était de la maison du feu roi, qui par faveur l’avait fait évêque. Son évêché, des plus modestes, ne suffisait pas à son activité. Son aptitude et son goût l’appelaient au maniement des affaires publiques. Rien ne prouve qu’il ait de bonne heure pensé à les diriger. Son ambition ne semble pas d’abord s’élever au-dessus des honneurs du conseil d’état. Cependant, après qu’il eut été l’orateur du clergé, l’espérance dut lui venir, et la faveur de la régente, de quelque manière qu’il l’ait gagnée, dut enhardir ses vues. Par l’intérêt de sa position comme par la nature de son esprit, il devait s’attacher entre tous les partis à celui de l’autorité royale. Il eut ce mérite, qui commençait à devenir plus commun, d’apercevoir la juste prééminence du droit de l’état sur tous les autres droits ; mais il eut un autre don plus rare, celui de discerner le bien de l’état avec le jugement le plus sûr, de l’embrasser avec la passion la plus forte, de l’accomplir avec une activité infatigable et une invincible fermeté. Ses qualités pratiques nous paraissent supérieures aux lumières mêmes de son esprit, son caractère dépasse son génie, ce qui vaut mieux que le contraire pour un homme d’état ; mais à son début il ne savait rien de tout cela. Jamais il ne paraît s’être observé avec beaucoup de finesse. Il allait devant lui, sans s’arrêter pour se juger. Il était attiré vers le pouvoir suprême sans plus de conscience que l’aiguille vers le pôle.

Dans son premier ministère, il n’avait été qu’un bon fonctionnaire public qui sert bien, mais qui se ménage. Il ne se fit connaître, il ne se connut lui-même que lorsqu’il fut premier ministre. Ici nous nous trouvons sur le terrain de M. de Carné, et nous renvoyons à lui. Son admiration pour Richelieu est judicieuse. Elle ne fait point taire sa conscience ; elle ne lui dissimule pas, quoiqu’il les laisse entrevoir plutôt qu’il ne les montre, les côtés faibles de cette brillante manière de gouverner. Il n’ignore pas qu’il pouvait y avoir dès lors de meilleurs moyens d’opérer les transformations politiques d’une société. Sa raison nous paraît se garder mieux de toute exagération que celle même de M. Thierry. Ce grand historien, qui voit dans Richelieu l’homme nécessaire, déclare sans hésitation ni regret