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c’est-à-dire l’équilibre de l’Europe, grandir son influence et même courir fortune de s’accroître sur sa frontière sans coaliser le monde contre elle. Jugée sur cette mesure, la politique de Richelieu, non celle de Louis XIV, sortirait triomphante de l’examen. Elle nous semble mériter, au point de vue de la civilisation moderne, tous les éloges qu’elle a reçus. On sait en effet qu’elle allait jusqu’à prêter l’appui d’une monarchie à des républiques, d’une puissance catholique à des états protestans. Sans trop s’effrayer de ces conséquences qui troublaient de faibles esprits, il soutint le système européen qui devait prévaloir à ce congrès de Westphalie, encore anathématisé de nos jours par des écrivains chers à l’église. On peut lui reprocher dans l’exécution quelques-unes de ces complications de vues, de ces arrière-pensées de défiance qui embarrassent l’action et l’affaiblissent. Il poursuivit trop d’intérêts à la fois, craignit par instans de trop s’engager, ne proportionna pas toujours les moyens au but, n’alla pas toujours jusqu’au bout de son idée. Le héros qui du fond du Nord fit une si glorieuse apparition sur la scène du monde, l’homme à qui échut l’incomparable honneur d’être dans la meilleure des causes aussi grand que jamais homme le fut en aucune cause, Gustave-Adolphe méritait peut-être une confiance plus absolue et une coopération plus puissante. Quoique Richelieu ait fait le tour de force d’avoir plus de cent cinquante mille hommes sous les drapeaux, il eut trop d’armées et les eut trop faibles. Il divisa trop son action, et, faisant abus de son universalité, il ne sut pas toujours sacrifier les accessoires au principal. Longtemps malheureux dans le choix de ses généraux, il s’obstina dans la confiance que lui arrachait le dévouement à sa personne. Pour justifier ses prétentions militaires, il donna des flottes et des armées à commander à des gens d’église, et Turenne et Condé ne vinrent pas à temps pour égaler sous lui la grandeur de la guerre à la grandeur de la politique. Cependant c’est de bonheur plus que de sagesse qu’il manqua dans cette partie de son gouvernement. Il fit à peu près tout le possible. L’esprit vraiment militaire, celui qui pour l’honneur et la bravoure élève le bourgeois au rang du gentilhomme, le paysan au niveau du bourgeois, se développa sous son influence d’une manière inconnue jusqu’à lui. Je le répète, comme représentant la France dans les cabinets de l’Europe et sur les champs de bataille, Richelieu n’a mérité que la reconnaissance du pays et l’admiration de la postérité.

À l’intérieur, nous avouerons que l’honneur tant prôné d’avoir, comme on dit, détruit les restes de la féodalité n’éblouit pas nos yeux au point de nous cacher tout le reste. L’idée sans doute était juste ; l’abaissement des grands était la condition de la force de la couronne et de l’état, et la force de la couronne et de l’état, nécessaire pour soutenir la France en Europe, était désirable pour ce