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et de l’esprit, mais à faire apprécier avec une plus sévère impartialité les services qu’il a pu rendre à son pays. Il fut, je le veux, un des fondateurs de l’unité nationale ; mais cette unité, résultat certain des événemens, ne pouvait manquer de se réaliser dans ce qu’elle avait de plus précieux, et l’on reste libre de juger des moyens qui l’ont accomplie, de la portée qui lui a été donnée. C’est une grande chose que l’unité ; mais il n’en faut pas exagérer le mérite. En politique comme en philosophie, l’unité est une des idées dont on peut le plus abuser ; en politique comme en philosophie, la passion de l’unité peut conduire aux principes outrés, aux systèmes exclusifs, en un mot à l’absolu. Nous conviendrons sans peine qu’après l’époque de la renaissance il était grand temps de délivrer le monde des gouvernemens du moyen âge ; néanmoins ces gouvernemens renfermaient dans leur confusion féconde des principes divers qu’il ne fallait pas abolir tous ensemble ni sacrifier à un seul. Des élémens multiples y produisaient des antagonismes qui ne pouvaient subsister : était-ce une raison pour faire disparaître à la fois toutes les résistances, pour supprimer à la fois toutes les limitations ? ou plutôt, sur les débris des anciennes barrières, n’en fallait-il pas élever de nouvelles ? Il n’y avait pas seulement dans la constitution laissée par le moyen âge une royauté et une féodalité ; il y avait un principe de représentation nationale attesté de loin en loin par le retour irrégulier des états-généraux et soutenu par leurs nobles délibérations ; il y avait l’indépendance de la justice, la permanence et l’universalité de son action ; il y avait la tradition et la pratique des libertés provinciales ; il y avait la franchise municipale ; il y avait enfin un sentiment historique du droit qui, sans cesse outragé, renaissait sans cesse et protestait contre l’oppression. Que sont devenues toutes ces choses sous la main de Richelieu ? En prétextant de les soustraire à l’influence d’une aristocratie justement dépopularisée, la royauté tendit au pouvoir uniforme, et attaqua tout en même temps que l’aristocratie. Si pour être affranchie de plusieurs, la société avait besoin d’être asservie à un seul, si telle était la nécessité du temps, la célèbre qui voudra : il n’y a pas de quoi se vanter. Mais non, il fallait, comme toujours, penser à deux choses que j’appellerai par leur nom, et qui sont l’ordre et la liberté ; il fallait pourvoir au présent et à l’avenir. L’ordre tout seul dans un état est une situation sans avenir. On dira que cette double pensée était alors impossible. Cependant nous avons peu d’états-généraux où elle ne se fut fait jour, où elle ne se retrouve fortement consignée dans les cahiers de l’ordre populaire. Ces états-généraux ont-ils jamais manqué de se revendiquer eux-mêmes, de réclamer énergiquement leur retour périodique ? Et plus d’une fois les parlemens, au milieu de