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leurs incohérentes prétentions, n’ont-ils pas formellement requis, contre l’arbitraire de la cour, des garanties qu’il faut bien nommer constitutionnelles ? Six ans après la mort de Richelieu, le parlement de Paris ne commença-t-il pas la fronde par un arrêt de réformation qui ressemble à une pétition de droit ? Convenez-en, des deux côtés d’une révolution nécessaire, les rois et les ministres, les Richelieu et les Louis XIV, n’en ont vu qu’un seul, et comme il arrive toujours, d’une vue partielle ils ont tiré une idée exclusive, celle qui allait à leur ambition. De là une œuvre étroite et viagère. Je conçois assurément qu’on les excuse ; mais est-il besoin de les louer de cela et de leur retrouver après coup des argumens rétrospectifs pour justifier, que dis-je ? pour sanctifier jusqu’aux excès de leur système ou de leur caractère ? On établit savamment qu’il eut été chimérique, impossible de faire davantage au XVIIe siècle, et que la nation ne pouvait rien obtenir qu’à la condition du despotisme. S’il est vrai, c’est la douleur dans l’âme, c’est la rougeur au front qu’un Français doit reconnaître qu’en France la société en péril est sans force, qu’elle ne peut attendre que d’un pouvoir officiel et illimité les réformes dont elle a conçu le besoin et la pensée, et qu’elle doit encore se tenir heureuse et reconnaissante lorsqu’elle voit ses intérêts sauvés aux dépens de ses droits, lorsqu’elle échange le désordre contre la servitude. Il me faudrait cent preuves plus éclatantes que le jour pour m’arracher un tel aveu. Je résiste à cette thèse du fatalisme politique : les nations ne peuvent rien pour elles-mêmes.

Les panégyristes de la force des choses sont les apologistes des faits accomplis. Ces égoïstes pleins de génie qu’on admire au timon de l’état et qui prêtent au peuple leur grandeur passagère fraient la route au pouvoir sans génie et à l’ordre sans grandeur. Rien plus que l’aveugle admiration qu’on leur décerne n’est propre à fausser les idées, à énerver le caractère d’une nation, à la soulager du sentiment de sa responsabilité, à la conduire au mépris d’elle-même, à la rendre du même coup incapable du gouvernement et de la liberté. Honorez les hommes supérieurs, louez leurs vastes desseins, leur conduite habile, leur indomptable force d’âme ; mais choisissez dans leurs œuvres, et ne prenez pas les limites de leur génie pour les limites du possible. Richelieu nous a délivrés, dites-vous, des factions aristocratiques ? Soit ; mais comment et à quel prix ? Enfin que ne vous en délivriez-vous vous-mêmes ? Cela vous eût coûté plus cher assurément, mais vous y auriez gagné davantage. Vous ne pouviez, dites-vous ; je le crois, et c’est cela même que j’accuse. Cette impuissance et ce sentiment d’impuissance sont le mal que prolongent et qu’aggravent les Richelieu et leurs panégyristes. Hyperbole pour hyperbole, j’aime encore mieux le mot de Montesquieu : « Les plus