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une émotion virile. Mais aussi plus les intérêts engagés sont considérables, plus est grande la responsabilité de la Russie et de son chef. L’empereur Nicolas vit sans doute au milieu d’influences diverses. Il y a autour de lui des tendances qui l’assiègent et le pressent dans la voie où il est entré, poussant à l’accomplissement des destinées russes, et il y a aussi des tendances plus modérées, plus conciliantes. Peut-être aussi le tsar ne s’est-il point rendu un compte suffisant du véritable esprit de l’Europe ; il peut voir aujourd’hui ce qui en est. Ainsi que nous le disions, un dernier appel vient d’être fait à l’empereur Nicolas. La lettre de l’empereur des Français témoigne de ce suprême effort : elle offre au tsar l’issue d’une convention directement négociée par son plénipotentiaire avec la Turquie, et qui serait soumise ensuite aux quatre puissances ; elle stipule l’évacuation des principautés, qui serait suivie de l’évacuation de la Mer-Noire par les flottes. Ce sont les deux points principaux de ce document, dicté par l’intérêt de la paix générale. Le moment n’est point passé encore où l’empereur Nicolas peut accepter ces propositions. Si elles ne devaient point être accueillies, il ne serait plus douteux que la Russie va avec préméditation au-devant d’un conflit qui peut avoir ses périls pour l’Europe, mais qui peut en receler de plus graves pour elle-même.

L’influence d’une crise publique de ce genre sur la situation intérieure de chaque pays n’est point difficile à comprendre : elle est de tous les instans et varie suivant les phases mêmes de la crise. Dans la sphère politique, elle produit cette vivacité d’impressions que ressentent les peuples atteints dans leurs instincts et dans leurs intérêts. Dans la sphère matérielle, elle paralyse l’essor des industries et du commerce ; dans les régions du crédit et des spéculations financières, elle entraîne les plus brusques péripéties, et souvent des catastrophes individuelles. C’est au reste un spectacle curieux depuis plusieurs mois que celui de la plupart des bourses européennes flottant au gré de tous les bruits, de toutes les nouvelles. Si on avait voulu y voir toujours un thermomètre exact de la situation des choses, on eût risqué parfois de tomber dans de singulières méprises. Le seul point sérieux dans l’ensemble de ces faits, c’est la réaction nécessaire des événemens politiques sur la situation générale des affaires industrielles et des finances publiques. Un document financier récent, le compte-rendu des opérations de la Banque de France en 1853, laisse voir les côtés les plus saillans de la situation actuelle. Qu’indique-t-il en effet ? D’un côté, le chiffre des opérations de la Banque, qui s’est élevé à près de 4 milliards, tandis qu’il n’avait été que de 2 milliards 500 millions en 1852, révèle l’activité croissante des affaires et des transactions. D’un autre côté, les difficultés qui naissent et se développent se laissent apercevoir à d’autres signes, tels que la diminution de la réserve métallique, l’obligation où s’est trouvée la Banque d’élever le taux de l’intérêt dans ses opérations, de restreindre les avances sur dépôts de titres industriels et d’effets publics. Outre ses opérations habituelles avec le trésor, la Banque vient, en dernier lieu, de mettre à la disposition de l’état soixante millions contre un dépôt de pareille somme en bons du trésor. Déjà trente millions ont été versés. C’est là sans nul doute une ressource nouvelle qu’a voulu se créer le gouvernement, en même temps qu’il élevait jusqu’à 5 1/2 pour 100 l’intérêt attaché