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de l’exemption de jeunes ecclésiastiques du service militaire. Comme il arrive toujours, il y a eu les deux partis extrêmes, les uns voulant qu’il n’y eut point d’exemption, les autres voulant qu’elle fût accordée au-delà de toute mesure. Le sénat s’est arrêté à un terme moyen, en stipulant que le nombre des exemptions serait fixé sur la moyenne des années précédentes. Au milieu de ces discussions, le Piémont vient de perdre un homme d’un nom illustre, Silvio Pellico, qui était devenu le type de la résignation chrétienne, après avoir été le type des malheurs politiques par sa longue captivité au Spielberg. Silvio Pellico avait soixante-quatre ans. Sorti du Spielberg en 1830, l’auteur des Prisons avait longtemps vécu dans sa famille, puis il était entré comme secrétaire chez la marquise de Barolo, qui l’entourait de soins maternels. On a dit que Silvio Pellico laissait des mémoires, une sorte d’autobiographie ; il est douteux qu’il en soit ainsi. L’auteur des Prisons vivait, dans ses dernières années, partagé entre ses devoirs de secrétaire et les pratiques d’une piété fervente. Souffrant depuis longtemps ; il avait coutume de dire : « Le plus beau jour de ma vie sera celui de ma mort ! » Ainsi s’en est allé cet homme qui a souffert pour son pays, et qui en était venu à ne plus s’occuper que de Dieu.

Les diversions de la politique sont depuis quelque temps assez puissantes sur le continent pour qu’elles ne puissent être balancées par l’intérêt des mouvemens périodiques et des agitations sans grandeur qui se réveillent ou se poursuivent dans le Nouveau-Monde. En réalité, l’Amérique du Sud en est toujours à ses vieilles expériences, tournant malheureusement dans le même cercle d’anarchie. Le temps a beau passer, il ne met point la règle dans ce chaos ; le temps lui-même, ce grand ministre, ne réussit pas à faire de l’ordre avec du désordre. La Nouvelle-Grenade a donné certainement depuis quelques années d’assez bizarres spécimens de l’anarchie américaine, déguisée en une espèce de socialisme officiel, pratiqué par les pouvoirs publics eux-mêmes ; elle en est aujourd’hui à la dernière expérience, celle de vivre à peu près sans gouvernement, au milieu d’antagonismes investis par la loi du droit d’organiser la lutte des pouvoirs en attendant de dégénérer en guerre civile. Du reste, la Nouvelle-Grenade traverse une situation qui n’est point sans offrir plus d’un trait curieux. Le parti démocratique, dominant depuis 1849, semble arrivé à un point extrême et décisif qui peut être considéré comme un point d’arrêt. Le parti conservateur, qui s’était complètement effacé, recouvre de jour en jour une force nouvelle. Entre les deux, le gouvernement hésite, ne voulant point être avec les conservateurs, n’étant pas davantage avec le parti démocratique, qui a travaillé jusqu’ici à le dépouiller de toutes les prérogatives habituelles de l’autorité exécutive. Le président actuel, le général Obando, bien que sorti des clubs, manifeste une répugnance visible à suivre, la faction qui l’a porté au pouvoir dans toutes ses belles œuvres. Déjà, lorsque la constitution nouvelle, qui est dans un sens ultra-libéral, a été décrétée, il a été un moment mis en doute si elle serait promulguée, ou si elle ne serait pas supprimée par un coup d’état. Le général Obando a laissé éclater la même répugnance au sujet des lois qui proclament la séparation de l’église et de l’état, et il n’est pas moins tenté de résister aux plans très démocratiques qui tendent à supprimer l’armée permanente,