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correspondance comprend certainement une quinzaine d’années et conduit Mme de Longueville et Mme de Sablé jusqu’à la fin de leur carrière.

En la faisant connaître, nous nous efforcerons de suivre ou plutôt de rétablir l’ordre chronologique autant qu’il nous sera possible ; nous nous attacherons surtout à pénétrer dans l’âme des deux amies, et à faire voir dans quels sentimens s’écoulèrent leurs derniers jours. Leurs pensées deviennent de plus en plus sérieuses avec les années. Le goût du bel-esprit, qui avait été si vif chez Mme de Longueville, et qui avec sa beauté avait fait sa réputation avant la fronde, est éteint depuis longtemps ; elle écrit par pure nécessité, au courant de la plume, pour dire ce qu’elle veut dire, et sans songer le moins du monde à la façon. Il ne faut donc pas s’attendre à trouver ici de ces petites et charmantes compositions qu’on appelle les lettres de Mme de Sévigné, si naturelles à la fois et si soignées, qui s’échappaient avec une fécondité inépuisable de son esprit et de son cœur, mais que le goût le plus fin surveillait aussi, parce qu’elle savait bien qu’on les montrerait, et qu’elles feraient le tour d’une société nombreuse et brillante. Mme de Longueville est retirée du monde et même livrée à une austère pénitence ; elle est revenue de toutes les vanités, et elle ne fait pas les moindres frais pour une vieille amie. Cependant ces billets si négligés se recommandent encore par un style aisé et du plus haut ton, par je ne sais quelles grâces secrètes et sévères, à jamais perdues, et qui même aujourd’hui, pour être aperçues et un peu goûtées, demandent un instinct bien délicat et un sentiment particulier de la langue jeune et flexible qui semble les porter naturellement.

Voici une lettre dont le lieu et la date ne sont point marqués, mais qui nous paraît la première de ce recueil, et doit avoir été écrite de Normandie, vraisemblablement de Rouen, au milieu de l’année 1660, lorsque Condé, grâce à l’intervention de l’Espagne et de son ministre don Luis de Haro, fit sa paix avec la cour et fut rétabli dans ses biens, ses titres et ses gouvernemens. Mme de Longueville reçut alors les complimens de toute la France. Par quelque motif que nous ignorons, Mme de Sablé ne s’était pas pressée de joindre ses félicitations à celles de tout le monde. Mme de Longueville la gronde de son silence, en même temps elle lui déclare qu’elle ne compte point se servir des prospérités nouvelles qui surviennent à sa maison, et qu’au lieu de reparaître sur la scène, elle ne désire que de pouvoir de temps en temps aller lui faire visite dans sa solitude de la rue Saint-Jacques :


« Il y a déjà assez longtemps que je me demandois quelle raison vous pouvoit empescher de m’escrire dans un temps où tant de gens, qui ne sentent