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« J’ai bien peur que si je vous laisse le soin de m’avertir quand je pourrai vous voir, je ne reçoive de longtemps cette joie, et que rien ne vous sollicite de me la procurer, y ayant toujours eu une certaine tiédeur dans vostre amitié depuis nos éclaircissemens, dont je ne vous ai jamais vu revenir bien nettement ; et c’est pourquoi je crains les éclaircissemens, car quelque bons qu’ils soient en eux-mesmes, puisqu’ils raccommodent les gens, il faut toujours advouer à leur honte qu’ils sont au moins les effets d’une mauvaise cause, et que s’ils l’ostent pour quelque temps, quelquefois ils laissent une certaine capacité de se refascher[1] tout de nouveau, qui, sans diminuer l’amitié, en rend au moins le commerce moins agréable. Il me semble que j’éprouve tout cela dans vostre procédé ; ainsi je n’ai pas tort d’envoyer savoir si vous me voulez aujourd’hui. »


Nous rencontrons dans les papiers de Mme de Sablé le brouillon d’un billet qui est bien vraisemblablement la réponse à une des lettres précédentes :


« Je ne fais point d’excuse à votre altesse sérénissime de ce que j’ai esté si longtemps sans lui escrire et sans me donner l’honneur de respondre à celui de son souvenir, car bien loin d’avoir esté en peine de la faute que j’ai faite, j’avoue, que j’aurois bien voulu vous mettre un peu en colère contre moi ; mais je n’ai pas eu ce bonheur, et j’ai été bien affligée de vous voir si bonne et si douce après que j’ai tant failli. Je me suis flattée pourtant que parmi toutes ces épreuves vous ne sauriez douter que mon cœur vous puisse jamais manquer, et que je ne sois toujours en volonté de faire pour vostre service tout ce que je puis faire de dessus mon lit et dedans ma chaise… »


Mais ces nuages passent vite, et la correspondance est toujours sur le ton de l’affection et de la confiance. Les deux amies se convenaient et se plaisaient par le contraste même de leur caractère. La princesse était passionnée, facile à émouvoir et à entraîner, cherchant surtout les satisfactions de son cœur, et, comme il appartenait à une femme du sang de Bourbon, comptant pour assez peu de chose la commodité et les aises dans la vie. La marquise était par-dessus tout raisonnable et prudente, fort occupée de ses amis, mais ne se négligeant point elle-même. L’instinct de Mme de Longueville la portait du côté du danger ; celui de Mme de Sablé l’inclinait au repos. Dès que l’une eut fait le sacrifice de ses affections, tout le reste, pouvoir, fortune, succès de société, agrémens de la vie, lui devint indifférent, et Dieu seul, avec la grande attente de la vie future, put remplir le vide de son âme. L’autre, en s’éloignant du monde, avait gardé dans sa retraite tous ses goûts, toutes ses faiblesses, et même, ainsi que nous l’avons dit, elle avait trouvé le moyen d’allier la dévotion

  1. Encore un mot dans le genre de ceux que nous avons signalés, comme se raccoutumer, regoûter, désolliciter, etc.