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et la friandise. Mme de Longueville n’était pas si habile. Comme on le pense bien, la bonne chère ne lui avait jamais été de rien, mais depuis sa conversion elle suivait avec une rigueur inflexible les règles les plus étroites de l’austérité chrétienne, et souvent il fallait lui rappeler ce qu’elle devait aux convenances de son rang et de sa maison. Elle aime donc les dîners de Mme de Sablé, mais pour causer plus librement avec elle, et elle fuit tous les raffinemens où se complaisait le génie de la marquise. Si elle fait grâce aux confitures, elle interdit les ragoûts, elle réclame les mets les plus simples : elle veut qu’on la traite à Port-Royal comme une religieuse de Port-Royal.

Quand Mademoiselle, dans la Princesse de Paphlagonie, se moque agréablement des frayeurs excessives de Mme de Sablé à l’idée seule de quelque maladie, de ses précautions infinies contre le mauvais air, et des remèdes qu’elle inventait sans cesse à faire envie aux facultés de Paris et de Montpellier, il semble en vérité qu’elle ait tenu entre ses mains les portefeuilles de Valant, si riches en recettes de tout genre, et qu’elle ait connu le manuscrit de la Bibliothèque nationale intitulé Lettres de madame de Sablé à divers[1]. Nous y voyons en effet la peureuse marquise se consumant jusque dans sa retraite en soins extraordinaires pour éloigner les causes et les apparences même de la maladie, et invoquant toutes les ressources et jusqu’aux illusions de la science humaine. Disons vite à l’honneur de Port-Royal qu’il ne s’accommodait point de pareilles dispositions dans une personne qui se disait dévouée à la bonne cause. Aussi, quand Mme de Sablé écrit qu’elle voudrait bien aller à Port-Royal-des-Champs, à la condition qu’il n’y eût en ce moment ni malades ni mauvais air, Arnauld lui répond avec sincérité : « Ne songeons point tant à fuir ce qui tôt ou tard est inévitable. Nous voulons nous bien porter, et le désir que nous en avons n’empesche point que nous ne soyons malades ; nous voulons estre sans incommodités, et nous en ressentons de continuelles. » Sévigny, qui transporta dans la dévotion l’humeur un peu rude de l’homme de guerre, va plus loin et lui déclare que ce qu’il faut venir chercher à Port-Royal, c’est la crainte de Dieu et non pas celle de la souffrance. Malgré tous ses soins, la pauvre femme n’avait pu échapper aux effets de la vieillesse, et à l’âge de soixante-dix ans elle perdit ou crut perdre l’odorat. Elle s’en affligea fort, et sachant que la mère Agnès avait éprouvé le même accident, elle s’empressa de lui écrire dans l’espoir d’en obtenir quelque adoucissement à ses peines. Elle en reçut un sermon qui l’édifia sans la consoler. « Hélas ! lui répond-elle, ma très chère

  1. Supplément français, 3029, 8.