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à terre sur un plancher sans parquet[1] ; elle s’enfermait des semaines entières dans le désert humide de Port-Royal-des-Champs : elle portait presque toujours une ceinture de fer[2]. Ce sont ces austérités multipliées et toujours croissantes qui accablèrent ce corps délicat et abrégèrent sa vie, sans toucher presque aux grâces immortelles de sa personne, car un contemporain[3] assure que « les progrès de l’âge ne paroissoient presque pas en elle, que sa beauté n’estoit point effacée, que sa piété lui seyoit bien, et que sa candeur, sa modestie, sa douceur, ennoblies par son air de dignité, la rendoient dans les derniers temps aussi propre à plaire que jamais. »

Il est temps d’arriver aux parties de cette correspondance qui se rapportent à de plus importans sujets.

Ce qui, à dire vrai, lui donnerait le plus de prix à nos yeux, ce serait d’en pouvoir tirer quelques lumières nouvelles sur La Rochefoucauld et Mme de Longueville, d’y apprendre quels sentimens ils avaient pu conserver l’un pour l’autre après la grande rupture, si jamais ils s’étaient rencontrés chez l’amie où ils allaient tous deux si fréquemment, si Mme de Longueville prit part aux occupations ingénieuses qui charmèrent les loisirs de Mme de Sablé de 1660 à 1665, et où La Rochefoucauld joua le principal rôle, si enfin elle n’aurait point aussi donné son opinion sur le livre des Maximes, ainsi que la comtesse de Maure, Mme de Guymenée, Mme de Liancourt, Mme de Schomberg, Mlle de Montbazon et Mme de La Fayette. Elle qui avait été nourrie dans le culte des choses galantes et délicates, l’élève et l’idole de l’hôtel de Rambouillet, le modèle de la vraie précieuse, la Mandane du Grand Cyrus, la Ligdamire de Somaize et du Cercle des Femmes Savantes[4], qui, au milieu des agitations de la fronde, s’était fait une affaire du triomphe du sonnet de Voiture sur celui de Benserade, qui pesa leurs mérites et leurs défauts avec tant de goût et de finesse[5], on voudrait bien avoir son avis sur tous ces mystères du cœur qu’elle était si bien faite pour démêler et pour mettre en lumière. On se demande si Mme de Sablé ne l’avait pas consultée, comme elle fit toutes les femmes d’esprit de sa connaissance, si Mme de

  1. Villefore, 2e partie, p. 172.
  2. L’usage des instrumens de pénitence lui était devenu si familier qu’un jour, tenant son conseil dans sa chambre, en tirant son mouchoir, il tomba de sa poche une ceinture de fer que M. Lenain, assis près d’elle, s’empressa de ramasser. Villefore, ibid.
  3. Ibid., p. 170.
  4. C’est le nom de précieuse de Mme de Longueville dans le Grand Dictionnaire historique des Précieuses, t. Ier, p. 290, et dans le Cercle des Femmes Savantes au mot Ligdamire ; mais dans ces deux ouvrages de 1661 et de 1663 il n’est question que du passé, et on déclare que Mme de Longueville n’est plus occupée que de son salut.
  5. Voyez, la série sur Madame de Longueville, livraison du 15 juin 1852.