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prise elle-même comme le sujet d’une expérience. C’est en tout cas un morceau fort curieux. Au dos est écrit : « M. de La Rochefoucauld donne ceci à juger. »


« J’ai cessé d’aimer toutes celles qui m’ont aimé, et j’adore Zayde qui me mesprise. Est-ce sa beauté qui produit un effet si extraordinaire, ou si ses rigueurs causent mon attachement ? Seroit-il possible que j’eusse un si bizarre sentiment dans le cœur, et que le seul moyen de m’attacher fust de ne m’aimer pas ? Ah ! Zayde, ne serai-je jamais assez heureux pour estre en estat de cognoistre si ce sont vos charmes ou vos rigueurs qui m’attachent à vous ? »


Un autre petit papier, joint au précédent, donne cette variante sur la dernière phrase :


« Ah ! Zayde, ne me mettrez-vous jamais en estat de cognoistre que ce sont vos charmes et non pas vos rigueurs qui m’ont attaché à vous ? »


Nul passage analogue à celui-là ne se trouvant dans Zayde, il faut bien en conclure que ce n’est pas ici une addition ou une correction proposée, mais une question de morale amoureuse et peut-être une déclaration subtilisée, adressée sur un air de badinage à la Zayde qui était alors l’objet des soins et des désirs de La Rochefoucauld. Mais revenons à Mme de Longueville.

Après le court moment de bien juste indignation qu’elle éprouva en 1662, à l’apparition des Mémoires, la paix rentra dans son âme, et depuis la surface au moins paraît tranquille. Elle connaît les occupations littéraires de Mme de Sablé, elle témoigne s’y intéresser par égard pour son amie, mais elle n’y prend aucune part. Mme de Sablé lui parle des sentences et des maximes auxquelles tout le monde travaillait autour d’elle, des divisions qu’elles causaient dans sa société, et elle lui adresse des questions qu’elle retire bien vite, les trouvant un peu trop délicates. Mme de Longueville accueille affectueusement ces communications ; elle se défend d’entrer dans ces querelles qu’elle n’a pas l’air de bien comprendre, mais elle tient son cœur ouvert devant Mme de Sablé, et elle l’enhardit à y pénétrer :


« M. Esprit (alors précepteur des enfans de son frère, le prince de Conti), qui est ici, m’a parlé de ces sentences, mais il ne me les a pas assez expliquées pour comprendre vostre dissentiment sur leur subject, je veux dire pourquoi cette mesme chose que vous trouvez qui fait honneur à leur esprit fait honte à leur âme[1]. Je suis toute honteuse de ce que vous me dites que je vous ai fait ravaler par mon silence les questions que vous aviez envie de me faire. Ce n’a pas été mon dessein, car, bon Dieu ! que ne me pouvez-vous pas

  1. Nouvelle preuve de l’opinion du Mme de Saldé sur les Maximes.