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lieu les plus audacieuses usurpations territoriales accomplies en Allemagne de 1807 à 1810. Ne serait-il pas d’ailleurs facile de montrer que les réunions prononcées au-delà du Rhin avant la guerre de Russie n’ont été, comme cette funeste guerre elle-même, que la conséquence du système continental dans lequel l’empire s’était engagé pour triompher des résistances qu’avait rencontrées sa politique, et n’est-il pas évident que si Napoléon a été amené à proclamer la réunion à l’empire des villes anséatiques et du duché d’Oldenbourg, c’est qu’il avait commencé par se déclarer roi d’Italie, et qu’il travaillait, depuis trois ans, à assimiler au grand empire l’Espagne et le Portugal ? Les populations d’origine latine n’ont-elles pas opposé d’ailleurs à la conquête française des résistances plus vives et plus soutenues que les peuples d’origine germanique ? Le Tyrol italien et les Calabres étaient soulevés pendant que des princes de la dynastie napoléonienne régnaient, sans rencontrer une résistance armée, sur la Hollande et sur la Westphalie ; si un long cri de vengeance ne s’était élevé sur les sierras espagnoles, si l’Angleterre n’avait trouvé des auxiliaires enflammés d’une haine inextinguible aux bords du Tage comme aux bords de l’Èbre, il est à croire que les populations riveraines de l’Elbe et du Weser auraient dévoré longtemps encore les affronts que leur imposait la victoire.

Les antipathies populaires ont donc été mille fois plus énergiques dans ces portions de l’Europe latine, dont on voudrait faire considérer comme plus facile et plus légitime l’absorption au sein de l’empire français. En cela comme en beaucoup d’autres points, les tentatives de Napoléon diffèrent de celles de Louis XIV. Si ce monarque en effet a imposé son petit-fils à l’Europe, il l’a fait avec le plein assentiment des populations espagnoles et par le plus régulier de tous les titres, le testament même de Charles II. Le grand roi comprenait d’ailleurs la royauté du duc d’Anjou en Espagne autrement que le grand empereur n’entendait celle des princes qu’il élevait sur les trônes étrangers avec la mission exclusive et hautement avouée de n’y représenter que lui-même. Si la question de la succession espagnole touchait, au XVIIe siècle, au système général des alliances, elle laissait au moins celle des nationalités hors de toute atteinte, et si l’Europe avait à s’inquiéter pour sa sécurité, les peuples n’avaient pas à trembler pour leur existence même.

Que de victoires n’auraient pas été nécessaires, que d’années surtout n’aurait-il pas fallu pour que le monde, qui avait lutté quinze ans contre les tentatives de Louis XIV, subît sans espoir de revanche l’expulsion de la maison de Bourbon et de la maison de Bragance, celle du pape, l’érection de quatre nouveaux trônes et la déclaration officielle du protectorat français sur l’Allemagne comme sur la Suisse !