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droit, de la justice et de la paix. La France a su faire des gloires de l’empire son patrimoine sans que la poésie populaire ait faussé la conscience publique, jusqu’au point de ranimer parmi nous le culte sanglant de la force et du hasard ; et si la nation se complaît toujours au souvenir de ces temps de prodiges, c’est en comprenant tout autrement et la mission du pouvoir et sa propre mission en Europe. Durant nos jours de longs débats et de tempéramens réciproques, où l’on répugne à la violence autant que l’on compatit à la faiblesse, ces arrêts impitoyables, devant lesquels disparaissaient et les plus vieilles dynasties et les plus respectables nationalités, tiennent plus de la légende que de la politique. En resserrant notre horizon, nous avons appris à regarder de plus près aux droits d’autrui comme aux nôtres. Voici bientôt un demi-siècle que le monde assiste au spectacle du développement simultané des nations dans toutes les voies de l’activité humaine, sans que ces développemens, soit politiques, soit commerciaux, aient provoqué une collision entre les peuples, et sans qu’aucun gouvernement ait décliné ou le respect des traités, ou l’acceptation d’un équitable arbitrage. Les révolutions de 1830 et de 1848 ont passé sur le monde en emportant dans leur cours quelques pans de l’édifice européen, et le désir de la paix a toujours prévalu, même au cœur des peuples qui pouvaient avoir à profiter de la guerre. Enfin il a été donné à la France d’éprouver le monde et de s’éprouver elle-même par une expérience suprême ; elle a rappelé au trône la famille de l’homme dont le peuple avait érigé la gloire en culte domestique, et le premier mot du nouvel empire a été une solennelle protestation de paix. En s’asseyant au trône élevé par le chef de sa race, son premier soin a été de proclamer le respect de tous les droits issus des traités, de décliner la solidarité des traditions impériales pour se rattacher à la tradition consulaire : acte sérieux, qui, s’il honore la sagesse personnelle du prince, constate surtout la puissance du vœu national et l’esprit même de notre siècle.

La chimère à laquelle l’empereur Napoléon sacrifia la gloire la plus solide qui ait jamais été offerte à un mortel le mit en contradiction flagrante avec la pensée même dont il était le plus illustre représentant, fils de la révolution de 89, qui dans sa période constituante avait été essentiellement pacifique, il condamnait son pays à une guerre éternelle ; défenseur d’un symbole qui proclamait les droits et l’indépendance des peuples, il était conduit à n’en tenir aucun compte ; missionnaire armé d’une doctrine fondée sur l’accord de la liberté politique avec la plus complète égalité civile, les conséquences de son système le contraignaient, d’une part, à gouverner militairement et sans contrôle, de l’autre, à instituer pour rançonner