Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le monde par le bombardement de Copenhague, on usait à coup sûr d’un droit manifeste ; mais que, pour lutter contre la Grande-Bretagne, on organisât une immense machine dont chaque mouvement allait froisser sur tous les points de l’Europe tous les intérêts domestiques, n’était-ce pas se préparer une déception au lieu d’une vengeance, et donner pour alliés à l’Angleterre les peuples mêmes sur lesquels nous pouvions le plus compter ?

Si Naples en 1808 et la Hollande en 1809, encore que gouvernées par des princes de la famille Bonaparte, ont résisté aux prescriptions de Napoléon au point de provoquer chaque jour sa colère et ses menaces, c’est que ces prescriptions étaient désastreuses pour leurs peuples, et que le titre de rois donné à ces princes par le chef de l’empire rendait pour eux le rôle de proconsul difficile autant qu’odieux. Si, au moment où le roi Louis était amené par les plus honorables susceptibilités à abdiquer une royauté transformée en préfecture, l’empereur se trouvait conduit lui-même à bouleverser de nouveau et en pleine paix continentale toute l’assiette de l’Europe en prononçant par un simple décret l’adjonction à l’empire des bouches de l’Ems, du Weser et de l’Elbe, c’est que son système économique soulevait des résistances plus vives encore que ne l’avait fait la conquête, et qu’une occupation permanente pouvait seule en imposer L’application aux populations désespérées. Si Bernadotte rencontra de si grandes facilités pour préparer en 1812 la défection de la Suède, c’est que l’assujettissement de la péninsule Scandinave au blocus continental aurait amené la ruine complète de ce pays ; enfin si l’empire s’engagea dans le conflit fatal qui termina sa destinée, c’est que la Russie, détournée par la réunion de l’Oldenbourg et par les plus menaçantes injonctions des perspectives incertaines ouvertes devant elle en Orient, refusait de se soumettre à des prescriptions fort dures sans doute, quoique parfaitement logiques dans l’ordre d’idées qui avait prévalu à Tilsitt.

La conquête et la domination directe de l’Europe, la substitution de l’administration française au régime de monarchies impuissantes et humiliées, telles auraient été les conséquences infaillibles et prochaines du blocus continental, proclamé comme principe du système impérial. Ajoutons que cette domination n’aurait pu suffire à en rendre l’application sérieuse et efficace. Il répugnait tellement à la nature des choses, que la France elle-même y échappait indirectement au moyen du régime des licences. Tous les peuples tributaires sans exception s’y soustrayaient également par celui de la contrebande, contre laquelle leurs gouvernemens ne sévissaient que dans la mesure strictement nécessaire pour ne pas tomber sous le coup de menaces analogues à celles qui avaient fait crouler le trône de