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trouvé pour sa politique dans le nord de l’Europe ce point d’appui qui lui manqua toujours, et dont l’absence détermina sa chute. La restauration de la Pologne, possible dès 1807 après Iéna et Friedland, facile en 1809 après Wagram, devenait en 1812 la première nécessité de sa situation, sa plus redoutable machine de guerre contre la Russie, sa seule chance de salut en cas de revers. Cette éclatante satisfaction donnée à la conscience publique aurait eu une tout autre portée que le chimérique traité de Tilsitt et les brillantes conférences d’Erfurt, qui servirent moins la politique que la vanité impériale, et qui ne rapprochèrent un moment la France de la Russie que pour creuser entre elles un abîme plus profond par l’effet de ce rapprochement même. Dès que Napoléon se refusait à livrer à l’ambition moscovite l’empire ottoman, il fallait jeter à tous les échos de l’Europe ce glorieux nom de Pologne, qui ne sortit jamais de sa bouche, lors même qu’en 1812 un peuple tout entier l’entourait comme son libérateur. De toutes les œuvres accomplies par l’empereur, la restauration de la Pologne n’aurait été certainement ni la plus difficile ni la plus téméraire. L’on demeure confondu en entendant l’inflexible organisateur du blocus continental, entre son expédition en Espagne et son agression en Russie, opposer de froids refus au peuple généreux dont il réclamait le sang ; on éprouve je ne sais quelle indicible souffrance en voyant cet esprit indomptable arguer, cette fois seulement, de ménagemens nécessaires, et, en présence de tant de faits consommés, s’envelopper d’une réserve diplomatique qui devait sembler la plus amère des ironies.

S’il avait été donné à l’empereur Napoléon de pressentir le rôle redoutable que les nationalités comprimées étaient appelées à jouer prochainement sur la scène du monde, il aurait pu, en s’emparant de ce levier, exercer une action décisive sur les événemens de ce siècle. Une telle force, maniée par un tel homme, aurait épargné aux générations à venir les crises qu’elles sont manifestement appelées à traverser, et dont l’attente trouble déjà le monde. La résurrection de la Pologne n’aurait pas été le dernier mot d’une telle politique. C’était surtout après la campagne de 1809, lorsqu’il eut pour la dernière fois la monarchie autrichienne à sa merci, qu’il aurait été possible à Napoléon d’en faire de larges et décisives applications. Un victorieux appel aux diverses nationalités qui avaient concouru, durant les derniers siècles, à former les grands états modernes, aurait été certainement l’arme la plus terrible à employer contre l’Autriche, et un pareil appel pouvait avoir des conséquences non moins alarmantes pour la Prusse, pour la Russie et pour l’Angleterre elle-même. Séparer, comme Napoléon en eut un instant la pensée, les trois couronnes d’Autriche, de Hongrie et de Bohême ; mettre les