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François de Vivonne, puîné de la maison d’Amville[1], fils d’André de Vivonne, grand-sénéchal de Poitou, avait beaucoup de crédit auprès du roi François Ier, au point de disposer des offices royaux ; sa famille était issue de la grande et illustre maison de Bretagne. Les Vivonne portaient l’hermine dans leurs armes. Quoique le fils aîné d’André de Vivonne, Charles, eût reçu en héritage D’Amville, La Chasteigneraye et d’autres belles terres, et que François eût eu Ardellay et autres lieux, toutefois on appelait ce dernier à la cour le « seigneur de La Chasteigneraye. »

À l’âge de dix ans, son père le donna au roi, suivant l’expression de l’époque, et le roi le prit pour un de ses enfans d’honneur. C’était alors une position des plus recherchées ; un enfant d’honneur était plus que page de la chambre. Vivonne excellait dans les exercices du corps, que François Ier aimait beaucoup aussi. Il était des plus adroits à la course et à la lutte. — Le roi, qui était né à Cognac, disait souvent : « .Nous sommes quatre gentilshommes de la Guienne : La Chasteigneraye, Sausac, d’Esse et moi, qui courons à tous venans. » Après la paix de Crespy, signée en 1544, toute cette jeunesse guerrière, fatiguée de son repos, employait ses loisirs à faire des armes, à se battre en duel ou à monter à cheval. L’escrime surtout était son occupation favorite. À cette époque, on considérait les maîtres italiens[2] comme les plus habiles ; Hiéronime, Francisque, Le Flamand et le sire d’Aymar de Bordeaux étaient aussi très en renom. La réputation de La Chasteigneraye comme tireur d’armes était universelle ; il avait travaillé à Rome avec le célèbre Patenostrier, et à Milan avec Tappe. Dans les assauts, dans les fréquens duels qu’il avait eus, il recherchait toujours les corps à corps, où sa taille et sa vigueur lui donnaient beaucoup d’avantage. Les combats à outrance à pied admettaient en effet cette sorte de luttes où les armes devenaient à peu près inutiles. Dans ces combats, avec le haubert qui couvrait la poitrine, rien n’était plus facile que de marcher sur un adversaire qu’on savait devoir terrasser à la lutte. On le serrait de près : s’il rompait et qu’on parvint à le pousser jusqu’à la barrière[3], à le jeter hors de la lice, il était vaincu ; s’il ne reculait pas, on cherchait à le saisir à bras-le-corps, afin de lui rendre inutile l’usage de son épée ; puis, après l’avoir fait tomber en l’entraînant à terre, on le perçait de coups de dague aux défauts de l’armure[4]. Souvent, dans la chute,

  1. Son frère aîné s’appelait Charles ; il laissa une postérité masculine.
  2. Les Italiens ont été non-seulement les plus habiles maîtres en fait d’armes, mais longtemps aussi les plus expérimentés casuistes en matière de duels.
  3. Si, en rompant, en voltant ou en sautant, on venait à toucher l’estacade ou la barrière, on était vaincu.
  4. Ainsi fit Bayard dans son duel contre Alonzo de Soto-Mayor.