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d’orecchiante, toi; tu connais la composition, et tu comprends qu’on ne chante pas un morceau d’un style sévère et religieux comme un air de Bononcini, avec le sourire sur les lèvres et la bouche en cœur. » J’avoue cependant, ajouta Guadagni, que je n’aimais pas beaucoup à chanter les airs et les duos de Haendel, qui manquent de charme et qui sont constamment écrits, je parle des duos, dans un style fugué, où l’expression des paroles n’est qu’un prétexte à la science des imitations; mais ses récitatifs, et particulièrement ses chœurs, sont admirables, et je n’oublierai jamais l’émotion que me fit éprouver le Messie, lorsque j’entendis pour la premier fois, au théâtre de Covent-Garden, ce chef-d’œuvre, qui a été composé dans l’espace de vingt et un jours !

— Cela est peut-être moins extraordinaire que vous ne le croyez, mon cher Guadagni, répondit l’abbé Zamaria, dont l’érudition et le patriotisme n’étaient jamais en défaut. Haendel, que nous pourrions presque revendiquer comme un élève de l’école de Venise, puisqu’il a été le disciple et l’imitateur de l’abbé Steffani, notre compatriote, qui était maître de chapelle à la cour de Hanovre, Haendel a fait entrer dans l’oratorio que vous admirez avec juste raison un grand nombre d’idées mélodiques qu’il avait déjà émises sous une autre forme. Accueilli avec bonté par l’abbé Steffani, qui jouissait à la cour de Hanovre d’une grande considération, Haendel a publié dans cette ville, vers 1711 ou 1712, un recueil de dix-huit duetti et terzetti avec accompagnement de basse continue, qu’il a dédiés à la princesse Caroline, et dont il existe plusieurs éditions. Dans ces duos remarquables, dont les paroles sont aussi d’un abbé italien, Ortensio Mauro, on reconnaît la manière de l’abbé Steffani, et l’on trouve le germe de presque toutes les grandes compositions que Haendel a produites plus tard. En voulez-vous la preuve ? ajouta l’abbé Zamaria. Cela n’est pas sans intérêt, suivez-moi.

Quand ils furent rendus à la bibliothèque, l’abbé dit à Lorenzo : — Prends ce gros cahier que tu vois là-haut, c’est la partition du Messie, et voici le recueil de duetti dont je parlais tout à l’heure.

S’étant assis au clavecin, l’abbé Zamaria se mit à feuilleter le recueil qu’il avait à la main en disant : — Tenez, du premier motif du second duo que voici :

No, di voi non vuo fidarmi,

Haendel en a fait le chœur de la première partie du Messie : Un enfant nous est donné. — Le troisième motif de ce même duo :

So per prova i vostri inganni

est devenu le thème principal du chœur de la seconde partie :