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Nous sommes dispersés comme un faible troupeau. — Dans le troisième duo, pour deux voix de soprano, le motif qui accompagne ces paroles :

Quel fior che all’ alba ride,


n’est-il pas exactement le même que celui du chœur qui termine la première partie du Messie ? Avec le quatrième motif de ce même duo, Haendel a composé le premier duo de son oratorio — Judas Machabée. Je pourrais poursuivre cette vérification, et il me serait facile de vous prouver encore que le thème de la première fugue qu’on trouve dans la Fête d’Alexandre, et d’autres morceaux de cette admirable cantate, sont aussi indiqués dans ce recueil de duetti que Haendel a composés sous l’influence incontestable de l’abbé Steffani. Du reste, ajouta l’abbé Zamaria, Haendel, dont le génie n’est pas sans quelque ressemblance avec celui de notre Benedetto Marcello, son contemporain, a procédé comme tous les hommes supérieurs, qui puisent dans les souvenirs et dans les émotions naïves de la jeunesse le thème des savantes conceptions de leur maturité. N’est-ce pas ainsi, après tout, que se développe toute chose en ce monde, et la civilisation n’est-elle pas comme un arbre séculaire dont la sève, renouvelée sans cesse par la culture, porte des fruits toujours nouveaux ?

— A l’appui de votre observation aussi profonde que judicieuse, répondit Guadagni, je puis vous citer aussi l’exemple de mon illustre ami, il cavalière Gluck. Les ouvrages qui lui ont valu en France une si grande renommée ne sont, pour ainsi dire, que la transformation de ceux qu’il avait composés dans sa jeunesse. L’ouverture d’Armide par exemple, qui a couronné sa belle et glorieuse vieillesse, est la même que celle de son opéra de Telemaco, qu’il a écrit pour moi il y a de cela une trentaine d’années, et avec le motif d’un chœur de ce même opéra il a fait l’introduction de l’ouverture d’Iphigénie en Aulide. Je n’ai pas besoin de vous apprendre que l’Alceste et l’Orphée, qu’il a arrangés pour l’Académie royale de Musique de Paris, sont, à peu de choses près, les mêmes ouvrages qu’il a composés à la cour de Vienne de 1761 à 1764. Ah ! que de souvenirs réveille en moi cette année mémorable qui vit naître la partition d’Orfeo, dont je puis me flatter d’avoir au moins inspiré l’idée! J’étais jeune alors, ajouta Guadagni en poussant un gros soupir, dans la plénitude de mes facultés, et je pouvais affronter sans crainte les regards d’un public avide de m’entendre. Il me semble voir encore la belle Marie-Thérèse dans sa loge impériale, entourée de sa cour, passant son mouchoir sur ses yeux remplis de larmes pendant l’exécution de cette musique divine ! Gluck était dans le ravissement, il m’embrassait dans les coulisses comme un enfant, et