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« C’est à agir auprès d’eux en ce sens que l’empereur vous charge, monsieur le baron, de consacrer tous vos efforts et votre zèle. Recevez, etc.

« NESSELRODE[1]. »

Tandis que M. de Nesselrode faisait pressentir à l’Angleterre, dans un langage si passionné et si hostile à la France, les mesures extrêmes que l’empereur de Russie allait prendre, la question des sanctuaires venait de recevoir à Jérusalem la solution mixte arrêtée par Fuad-Effendi. Il faut voir dans les faits à quoi se réduisaient ces victoires de l’influence française, auxquelles la colère du gouvernement russe donnait ces énormes proportions. Il faut comparer le résultat obtenu par nous aux accusations de M. de Nesselrode. Un commissaire de la Porte, Afif-Bey, avait été envoyé sur les lieux pour mettre à exécution la décision du gouvernement turc. Bien loin que la suprématie de l’église latine en terre sainte eût été constatée par les actes de ce commissaire, le grand firman qui tenait tant à cœur à la Russie avait été lu à Jérusalem. Le patriarche latin et le consul français s’étaient abstenus d’assister à la lecture de ce firman ; cet acte s’était même accompli avec plus de publicité que Fuad-Effendi ne l’avait promis à notre ambassadeur. « Mais, écrivait le colonel Rose à son gouvernement, M. de Lavalette s’était résigné à ce résultat avec beaucoup de modération, et l’acceptait comme un fait accompli[2]. » Les deux avantages obtenus par les Latins étaient la clé de la grande porte de l’église de Bethléem et l’admission au tombeau de la Vierge. En quoi consistaient ces avantages ? Le colonel Rose va encore nous l’apprendre : « En fait, la cession de la clé n’est rien ; elle ne donne pas le droit aux Latins de célébrer le service divin dans l’église ; elle ne leur accorde que le passage pour arriver à la grotte de la Nativité, voûte située sous l’église, où les Latins ont deux sanctuaires, la Crèche et la grotte des Mages[3]. » Voilà pour la clé. Quant au tombeau de la Vierge, les Grecs ayant craint que les Latins ne voulussent l’avoir pour eux exclusivement, une journée tout entière dans l’année, M. de Lavalette déclara au colonel Rose qu’afin d’empêcher toute collision, il désirait que chaque culte eût le tombeau de la Vierge le temps nécessaire pour accomplir ses cérémonies, après quoi le sanctuaire resterait ouvert aux autres sectes. « M. de Lavalette, ajoutait le colonel Rose, m’a en outre assuré que, bien que, s’il eût pressé le sens de la note du 9 février, il eût pu demander pour les Latins la faculté d’avoir des lampes et des images dans le tombeau, il s’en était abstenu par esprit

  1. Corresp., n° 72.
  2. Colonel Rose to the earl or Malmesbury, Constantinoplen january 4, 1853. Corresp., part I, n° 80.
  3. Colonel Rose to lord John Russell. Jauuary 21, 1853. Corresp., part I, n° 90.