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de modération, et qu’ainsi il avait renoncé pour les Latins aux privilèges qu’avaient dans le tombeau toutes les autres sectes chrétiennes, y compris même les Coptes et les Abyssins[1]. » Le colonel Rose avait rapporté ces explications au ministre russe, M. d’Ozerof, qui en avait paru satisfait. À la date du 28 janvier, il croyait donc pouvoir annoncer à son gouvernement, en louant la modération des représentons de la France et de la Russie, que cette périlleuse question des lieux-saints était enfin terminée.

Voilà donc où en étaient les choses en janvier 1853. La question étant terminée sur les lieux avec si peu d’avantages pour la France, la Russie pouvait se contenter de la laisser s’assoupir. Si cependant, dans l’opinion du cabinet russe, toutes les difficultés n’avaient point été résolues d’une façon satisfaisante, les dispositions spontanément manifestées par le gouvernement français lui ouvraient une autre voie. Il pouvait traiter directement et conclure à l’amiable avec la France, à Saint-Pétersbourg même, un arrangement définitif. Aucun de ces partis ne s’accommodait apparemment aux vues ultérieures de l’empereur Nicolas. M. de Nesselrode prit acte des ouvertures conciliantes de la France, mais il éluda la proposition d’une négociation directe. Sir Hamilton Seymour lui ayant demandé si la question se traiterait à Saint-Pétersbourg ou à Constantinople, le chancelier lui répondit qu’il valait mieux, pour plusieurs motifs qu’il n’exposa point, que les négociations fussent conduites auprès du gouvernement turc. Par une dépêche du 8 février, adressée à M. de Kissélef, il donnait en quelque sorte un rendez-vous diplomatique à la France à Constantinople. Dès le 4 février, il avait annoncé à sir Hamilton Seymour la mission extraordinaire du prince Menchikof.


II

Avant d’exposer les circonstances dans lesquelles le prince Menchikof arriva à Constantinople et les divers incidens de son ambassade, il importe de bien fixer le caractère que le gouvernement russe avait cherché à donner à cette mission extraordinaire aux yeux de la France et surtout de l’Angleterre.

M. de Nesselrode avait répondu aux ouvertures du gouvernement français dont nous avons parlé par une dépêche du 8 février 1853 adressée à M. de Kissélef. Le chancelier résumait dans cette dépêche, au point de vue russe, toute la discussion de l’affaire des lieux-saints. Ce document, où les récriminations abondaient, se terminait cependant par les assurances suivantes :

« Le cabinet impérial ne négligera aucun moyen pour hâter une conclusion

  1. Colonel Rose to lord John Russell. Corresp., part I, n° 91.