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dans le lointain, sur un ardent sommet, le Golgotha de Rembrandt.

Ce livre, véritable catapulte, le plus grand, le plus sanglant, le plus robuste des pamphlets que la langue française ait produits, parut en 1599. Ce fut le dernier mot du XVIe siècle : l’ironie en plein triomphe, non plus réservée et craintive comme dans Érasme, non pas amère et douloureuse comme dans Ulrich de Hutten, mais pleine, surabondante, rassasiée de butin, festoyant la victoire, enivrée de l’avenir. Le cadavre du passé est traîné sept fois au milieu d’un rire inextinguible autour de la vieille Ilion du moyen âge.


XVI

L’ouvrier de la bible, armé du glaive et de la truelle, c’est Marnix. Jamais il n’a ébranlé l’église du passé qu’il n’ait en même temps édifié la foi nouvelle. Les états-généraux de Hollande se souviennent de Marnix quand il faut donner une base à l’église nationale ; ils le chargent officiellement par une loi de faire la traduction complète de la bible en langue néerlandaise. Marnix quitte sa solitude de Zélande pour l’université de Leyde, qu’il a fondée ; là, entre Joseph Scaliger et Juste-Lipse, il entreprend vers la fin de ses jours, accablé d’infirmités précoces, mais toujours serein et infatigable, le labeur que Luther a réservé à ses années de jeunesse et de force. La langue sacrée de la Hollande était née en quelque sorte des psaumes et des cantiques d’Aldegonde. On en critiquait ça et là les rimes frustes, les nombres imparfaits ; lui, si Français de cœur et de langue, excluait systématiquement du hollandais tous les termes empruntés à la France. Cette réforme si féconde avait étonné ; mais si c’étaient là les reproches qu’on lui adressait, la simplicité, l’énergie native, l’accent antique, la majesté qu’il savait trouver dans l’idiome jusque-là indomptable des Bataves, étaient admirés sans restriction. Que serait-ce du monument complet de l’Ancien et du Nouveau Testament, quand le même homme qui combattait depuis un demi-siècle pour ce livre l’aurait reproduit jusqu’à la dernière ligne ? Cette gloire fut refusée à Marnix. Le vieux lutteur tomba épuisé sur la bible comme il achevait les derniers versets de la Genèse.

Sa fin fut attristée par la nécessité de se défendre. Marnix n’eût pas été de son temps, s’il n’eût eu comme tous les autres son heure d’intolérance. Il avait étendu la liberté aux luthériens, aux calvinistes, aux puritains, même aux anabaptistes, qui partout ailleurs épouvantaient le XVIe siècle et le faisaient reculer ; mais lorsque surgirent les mennonites et les enthousiastes[1], l’auteur du Tableau

  1. Qu’étaient ces enthousiastes ou zélateurs spirituels, et qu’est devenu l’ouvrage qu’Aldegonde publia contre eux ?