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Pour recomposer cette figure, j’ai été obligé de rassembler çà et là à grand’peine des fragmens épars, mutilés ou inédits ; encore n’ai-je pu découvrir presque aucun détail intime et domestique sur Marnix, et c’est là mon excuse pour ce qui manque à cette vie. Tout ce que l’on sait par la tradition, c’est qu’il a été marié trois fois, que sa première femme s’appelait Philippe de Bailleuil, la seconde Catherine de Eeckeren, la troisième Josina de Lannoy. Il eut de ces mariages quatre enfans : un fils, Jacob, tué dès sa première campagne ; trois filles, Marie, Amélie et Elisabeth, qui se fixèrent en Hollande, où elles épousèrent, l’une un des Barneveldt, les autres deux des principaux citoyens de la république.

Avant que la perte des écrits d’Aldegonde ne soit consommée et irréparable, une entreprise digne de la nation hollandaise serait de réunir et de publier ces œuvres, qui renferment pour ainsi dire sa raison d’être. Si l’esprit des Nassau vit encore quelque part, laissera-t-il périr tout entier l’ami, le champion, le défenseur, l’alter ego de Guillaume ? Qui a contribué plus que Marnix, après Guillaume, à fonder la nationalité, à conquérir la liberté religieuse et civile, à établir l’église nouvelle, sur laquelle tout repose ? Les œuvres de Marnix sont les titres de la nation hollandaise. Ces ouvrages auraient un intérêt sinon égal, au moins très grand pour ses compatriotes, les Belges, dont il a le premier et le dernier, par la plume et par l’épée, défendu l’indépendance durant quarante années sans pouvoir la sauver. Quant à nous, serions-nous devenus si indifférens à tout ce qui regarde la dignité humaine, que nous ne prêtions aucune attention à des monumens inconnus pour nous, pleins de l’esprit français, qui deux siècles avant notre révolution renferment une partie de son génie ? A défaut de tout instinct moral, la vanité nationale nous obligerait, ce semble, de paraître nous intéresser à ce complément inattendu de notre littérature et de notre langue. Nous voudrions voir comment notre idiome a régi la grande tempête batave, et nous serions pour le moins curieux de savoir ce qu’est devenu notre Rabelais chez un Pascal wallon.

Une édition de Marnix conçue dans ce plan devrait comprendre : 1° ses ouvrages de théologie, controverses, catéchismes, traduction en prose et en vers de la Bible ; 2° ses mémoires et ses lettres politiques : il serait facile d’en composer un recueil semblable à ce qu’on appelle les Mémoires de notre Duplessis-Mornay ; 3° ses pamphlets, consolations, avertissemens, apologies ; 4° la Ruche romaine en français et en flamand : il faudrait y joindre ses chansons populaires, qui, selon Bayle, furent aussi utiles à la république que de gros livres ; 5° le Tableau des différends de la religion. J’ai moi-même préparé une édition de ce dernier ouvrage, sans contredit le plus important de tous.