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dans le corps de chaque poisson parvenait au terme de son développement, il n’y aurait que peu de craintes à concevoir sur la dévastation de nos cotes et le dépeuplement des eaux douces ; mais de nombreuses causes de destruction tendent à réduire considérablement cette multiplication si richement préparée. Les unes sont inhérentes aux circonstances naturelles elles-mêmes, les autres proviennent uniquement du fait de l’homme. Nous devons les signaler toutes, s’il est possible, et les apprécier successivement avant d’arriver à l’exposé des moyens destinés à en prévenir l’action, qui formeront l’objet principal de cette étude.

Il ne faut pas oublier d’abord que, dans l’harmonie générale de la nature, la fécondité des animaux est réglée, ainsi que l’a fait remarquer si justement M. Milne-Edwards, non-seulement en vue des dangers auxquels les jeunes se trouvent exposés avant de devenir aptes a concourir eux-mêmes à la reproduction de l’espèce, mais aussi en raison des chances de non-fécondation que les œufs ont à subir. On sait en effet que l’immense majorité des poissons est ovipare, et que la fécondation s’opère par l’action de l’élément mâle sur l’élément femelle, en dehors du corps de ces animaux et au milieu de l’eau où ils vivent, cette action est la condition nécessaire au développement de l’embryon, et tous les œufs qui n’ont pas reçu le contact des animalcules de la laitance s’altèrent et bientôt se décomposent. Or jamais la totalité du frai ne se trouve fécondée, et par cela seul il s’en perd toujours une portion plus ou moins considérable. La portion qui reste est a son tour exposée à une foule d’influences pernicieuses : elle peut être laissée à sec par l’abaissement du niveau de l’eau ou gâtée par les matières limoneuses que soulèvent et entraînent les crues. Le frai a d’ailleurs de nombreux ennemis ; beaucoup de poissons le dévorent ; divers crustacés, divers insectes s’y attaquent également ; il peut être envahi par les algues ou byssus, et la plupart des oiseaux aquatiques en sont très friands.

Toutes ces chances de mortalité et de destruction empêchent que le poisson ne se multiplie autant que le grand nombre des œufs le ferait d’abord supposer, mais elles rentrent en quelque sorte dans les lois de la création animée, et ne suffiraient pas le plus ordinairement à dépeupler les eaux, si des causes d’une autre nature ne venaient s’y ajouter. Parmi celles-ci, il faut citer avant tout l’insuffisance de la législation des pêches et l’inobservation tolérée de tous les règlemens conservateurs qu’elle renferme. Dès la fin du dernier siècle, Duhamel signalait les déprédations des pêcheurs, qui tendent impunément leurs filets à toutes les époques de l’année, et journellement laissent périr sur le rivage une multitude de poissons trop petits pour être vendus. Il s’indignait avec raison de voir les habitans des côtes remplir des tonnes de frai pour en fumer leurs terres ou pour nourrir leurs pourceaux. Cette coupable imprévoyance s’est accrue encore, et l’on peut presque dire qu’aujourd’hui tous les dommages sont autorisés, tous les abus s’exercent librement. Vainement les plaintes les mieux fondées se sont élevées contre les braconniers de la pêche, les dévastations ont continué de toutes parts.

Il y a pourtant bien longtemps déjà que l’on a senti le besoin de prendre des mesures répressives contre la destruction du frai, et les historiens de la pêche ont consigné de nombreuses ordonnances rendues successivement dans cette vue à diverses époques, et dans différens pays. Sans les citer toutes, il